« Un acte de foi politique et culturel. » C’est ainsi que Daniel Toscan du Plantier le considérait. Ces mots résonnent toujours avec une acuité particulière, presque un mois après les attentats de Paris. Le Festival de Marrakech a bien ouvert ses portes vendredi soir sous haute surveillance, à peine deux semaines après celui de Carthage en Tunisie. « Il y a toujours eu beaucoup de sécurité à Marrakech, et plus encore cette fois, explique Mélita Toscan du Plantier, directrice de la manifestation depuis la disparition de son mari, Daniel, en 2003. C’est normal. La sécurité est primordiale. Des procédures ont été mises en place. Pour autant, il faut que le festival, ouvert au public, reste fluide et accessible. »
L’événement cinématographique le plus important de l’Afrique
Vendredi soir donc, l’ambiance était plutôt sereine, les personnalités nombreuses, dont Francis Ford Coppola, président du jury, entouré de son équipe dont Naomi Kawase, Sergio Castellitto, Jean-Pierre Jeunet et Sami Bouajila. « J’ai appelé chaque membre du jury un par un pour les rassurer, explique-t-elle. Beaucoup de gens nous ont téléphoné. Mais il y a eu très peu de désistements, environ 5 pour 400 invités. Le roi du Maroc, qui prône un islam modéré, tient énormément à ce festival, qui accueilletoutes les nationalités, toutes les cultures. »
La chance, cette fois, est sans doute d’avoir eu affaire à Francis Ford Coppola. « Après les attentats, il est resté droit dans ses bottes, poursuit Mélita. Nous nous sommes appelés et il m’a déclaré : “Tant que vous me dites qu’il n’y a pas de danger, je n’ai aucune raison d’annuler. Non seulement, je vais venir, mais en plus avec ma fille Sofia, qui veut absolument être là pour rendre hommage à Bill Murray.” Du coup, il a rassuré tout le monde. Les autres jurés se sont dit : “Si lui qui est américain n’a pas peur, nous non plus.” Quant à moi, je suis fière de défendre cet événement cinématographique, qui est le plus important de toute l’Afrique. Il était impensable d’annuler. On n’y a même pas pensé. » Il faut dire que la manifestation a affûté sa résistance puisqu’elle est née quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001.
« Défendre des valeurs universelles »
« Je me souviens à l’époque de l’horreur et de la sidération qui nous avaient submergés pendant 48 heures, explique la directrice. On ne savait pas quoi faire, quoi dire. Les événements internationaux étaient bien plus importants que notre festival, sur lequel on avait travaillé pendant un an. » Cette année-là, Marrakech enregistre une vague d’annulations sans précédent. Tous les Américains, en état de choc, se désistent. Mais le roi décide de le maintenir. « Sa décision d’alors nous a fascinés par ce qu’elle montrait de sa volonté politique, et agréablement surpris car nous n’étions plus sûrs de rien. Nous avons alors activé tous nos réseaux, téléphoné aux cinéastes, acteurs, actrices jour et nuit. Jeremy Irons est venu, mais aussi Omar Sharif, Youssef Chahine, Claude Lelouch, Charlotte Rampling… Ça a été un moment de très forte solidarité entre les participants. On voulait montrer qu’en terre musulmane, toutes les nationalités se retrouvaient pour parler de cinéma et défendre des valeurs universelles. » Pour preuve, en 2003, elle reprend le flambeau à la tête du festival : « J’étais une femme, une Française, je n’avais que 34 ans. Les Marocains m’ont fait confiance. C’était de leur part un message très fort. »
Vendredi, lors de la cérémonie d’ouverture de sa quinzième édition, le festival marocain a honoré Bill Murray pour sa carrière, en présence du président du jury Francis Ford Coppola, sous le regard amusé de sa fille Sofia.