"C’est une vraie rupture avec la tradition politique saoudienne", estime Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Arabie saoudite et professeur à Sciences Po.
"D’ordinaire, le pouvoir est partagé dans la famille et le roi gouverne de manière consensuelle. Abdallah (roi décédé en janvier) avait cherché à institutionnaliser cette pratique s’agissant de la succession en créant en 2006 le conseil d’allégeance (représentant toutes les branches de la famille)", a-t-il dit.
"Or ce conseil a visiblement été tenu à l’écart de toutes les récentes manœuvres", a ajouté M. Lacroix.
Trois mois après son accession au trône, le nouveau roi Salmane a nommé mercredi son neveu Mohammed ben Nayef, 55 ans, héritier du trône à la place de son demi-frère, Moqren, 69 ans, et propulé son fils, Mohammed, la trentaine, second dans l’ordre de succession.
Il a également écarté, pour "raisons de santé", le prince Saoud Al-Fayçal, 75 ans, à la tête depuis 40 ans la diplomatie saoudienne. Adel al-Jubeir, diplomate de 53 ans au style occidental, lui a succédé.
Le prince Moqren est le plus jeune des 35 fils d’Abdel Aziz, fondateur du royaume saoudien. Il était devenu prince héritier après la mort du roi Abdallah, à l’âge de 90 ans, auquel a succédé le 23 janvier le roi Salmane (79 ans).
Le nouveau souverain rompt ainsi avec une gérontocratie qui avait présidé jusqu’ici aux destinées de la puissance pétrolière. Ce royaume sunnite ultraconservateur voit de plus en plus son leadership régional concurrencé par son rival, l’Iran chiite, qui a opéré une ouverture en direction des Etats-Unis.
"Le roi Salmane veut renouveler les structures de l’Etat en injectant du sang neuf, un choix qu’il a fait dès" son intronisation, a commenté l’analyste saoudien Khaled Batarfi, notant que la moyenne d’âge de la classe dirigeante tourne aujourd’hui autour de 50 ans.
De jeunes ministres, à l’instar de celui de l’Information Adel al-Trifi, la trentaine, ont fait leur entrée dans le gouvernement du roi Salmane.
"L’idée, c’est que l’avenir doit être rassurant aux plans interne et externe", ajoute l’analyste en admettant toutefois que "la jeune direction fait face à un défi: son manque d’expérience".
"Nouvelle donne"
Un autre analyste, Khaled al-Maïena, a espéré que les deux nouveaux princes héritiers "donneront l’exemple aux jeunes" et "réclameront des comptes" dans la gestion des affaires de l’Etat.
Le royaume, premier exportateur mondial de pétrole, qui prévoit un déficit budgétaire de 39 milliards de dollars en 2015 en raison de l’effondrement des cours du brut, est souvent critiqué pour sa politique économique et monétaire.
Malgré ses réserves en devises estimées à 714 milliards de dollars, l’Arabie saoudite risque de voir ses difficultés s’aggraver avec son engagement militaire au Yémen où il conduit une coalition arabe en guerre contre une rébellion soutenue par l’Iran.
"Les artisans de cette opération ont brillé sur la scène. Et il était nécessaire de procéder à un remaniement qui soit à la hauteur de la nouvelle donne", estime Anwar Echki, directeur du Centre de recherches du Moyen-Orient pour les études stratégiques et juridiques.
Il faisait référence au prince Mohammed ben Salmane, l’architecte de l’opération "Tempête décisive", lancée le 26 mars par la coalition arabe au Yémen, et au prince Mohammed ben Nayef, champion de la lutte contre Al-Qaïda qu’il a réussi à neutraliser, bien qu’il doive s’attaquer maintenant aux jihadistes du groupe Etat islamique.
L’Arabie saoudite opte désormais pour le "réalisme" politique et "le roi Salmane est guidé par un seul principe: le meilleur en fonction du poste, sans considération d’appartenance à la famille ou à la tribu", a encore affirmé M. Echki.
Les intrigues de palais devraient cependant continuer, bien que la nomination des deux princes héritiers devrait aider Salmane à renforcer l’emprise de la branche Soudairi de la famille royale, qui avait perdu en influence sous Abdallah, selon des experts.
Le clan Soudairi, très soudé, est formé par les enfants de Hassa, l’épouse favorite du roi Abdel Aziz, fondateur du royaume, mère de sept de ses 35 fils.
L’énigmatique observateur Mujtahidd, très suivi sur Twitter et qui se veut un connaisseur des affaires royales saoudiennes, avait écrit dimanche que Moqren, le prince héritier écarté, "subissait des pressions pour accepter de se démettre, faute de quoi il serait démis par un décret royal"