Alors que le compte à rebours est enclenché pour la tenue des élections du 8 septembre au Maroc, l’heure est toujours au débat sur les enjeux de ce scrutin pour les principaux partis politiques en lice. A moins d’un mois de cette échéance, la recomposition du paysage partisan est en pleine ébullition avec, aussi bien chez les partis de la majorité gouvernementale que ceux de l’opposition, des formations politiques qui aiguisent un nouveau discours et un programme électoral mobilisateurs. L’occasion de jeter un éclairage sur ce sujet dans cette interview avec le politologue M’hammed Belarbi.
1 – Quelle lecture faites-vous de l’échiquier partisan à quelques semaines d’échéances électorales décisives ? Quelles sont les alternatives que les partis peuvent présenter?
M’hammed Belarbi: l’année 2021 est en effet une année foncièrement électorale. Elle sera marquée par le renouvellement de l’ensemble des institutions représentatives nationales, qu’il s’agisse des deux Chambres du Parlement, ou des conseils communaux, provinciaux et régionaux. Ces scrutins interviennent dans un contexte particulier de crise liée à la pandémie, de perte de confiance dans le politique et de virage que L’État compte prendre dans sa trajectoire de développement.
En ce moment, le compte à rebours est enclenché pour ces échéances et leurs préparatifs sont en bonne voie. Et en toute logique, le microcosme politique marocain est entré en période pré-électorale et les partis auraient déjà dû commencer à parler de leurs programmes électoraux. Sur ce, certaines formations se sont déjà mises à l’œuvre, d’autres n’ont pas encore d’offres politiques claires.
Cela dit, même pour ceux qui sont déjà bien avancés dans leur programme (RNI, PI), aucun parti ne pourra faire l’impasse sur les chantiers déjà engagés, et qui font d’ailleurs l’unanimité. La relance économique, la protection sociale et médicale et la réduction des disparités sociales et territoriales, entre autres. Mais au Maroc, en plus des préoccupations d’ordre économique et social, qui risquent d’ailleurs de s’accentuer davantage dans ces temps pandémiques, les partis politiques doivent faire face à une crise de défiance générale. Par voie de conséquence, dans ce contexte qui est marqué par un déclin de leur force et de leur rôle d’encadrement au sein de la société, ils devraient être conscients qu’ils ont une responsabilité historique en vue de rétablir la confiance des citoyens dans la politique et partant, occuper les espaces qui leur ont été accordés constitutionnellement en termes d’encadrement et de médiation. Bien entendu, au-delà des aspects techniques (inscription sur les listes, mode de scrutin, quotient électoral, découpage) et du caractère particulier des prochaines échéances, certaines questions de fond se posent. Il est ainsi permis de s’interroger sur le contenu politique de toute l’opération. En d’autres termes, qu’est-ce que nos formations politiques proposent pour un Maroc de l’après-Covid et pour accompagner le lancement du nouveau modèle de développement?
Ainsi, bien du chemin reste encore à faire, surtout sur les volets économique et social. Les partis politiques gagneront à revoir leur approche des élections, à cesser d’exercer le leadership par le silence et à contribuer positivement à la création d’un nouvel horizon dont la nation a besoin pour faire face aux défis externes et aux enjeux internes post-Covide-19. D’où une série de réformes majeures qui nous attendent, notamment dans les domaines de la santé, de l’enseignement, de l’emploi, mais aussi et surtout de l’administration et de la justice. En période de crise, il n’y a rien de plus exaltant que de porter un projet pour la Nation propice à l’émergence de nouveaux leaders et de renouveau politique.
2- En cette période de crise économique due à la pandémie, quel état des lieux dresser pour les principales formations ?
Plus globalement, attendus pour donner leur lecture des événements, communiquer sur leurs prises de position, débattre et encadrer la population durant les premiers mois de la pandémie, les partis politiques, à vrai dire, étaient à la fois coupés de leurs adhérents et de l’opinion publique.
Ainsi, la pandémie a montré les limites des partis politiques toutes formations confondues à interagir avec les situations nouvelles et inattendues produites par la pandémie de Covid-19. En effet, les critiques à l’encontre des élus, que ce soit au niveau local ou central, ont été nombreuses, d’autant plus qu’ils n’ont pas joué le rôle que leur attribuent les divers arsenaux juridiques en matière de maintien de l’ordre public et de santé publique. Il s’ensuit que la pandémie Covid-19 pose de grands défis aux partis politiques, dont certains sont liés à la défense de leurs programmes électoraux pour les échéances à venir et d’autres aux scénarios de sortie de la crise de « confiance » laissée par l’épidémie et ses répercussions sociales et économiques sur les citoyens.
Par ailleurs, même si la pandémie de Covid-19 a été l’occasion pour la classe politique marocaine d’utiliser à fond les réseaux sociaux dans sa communication (Facebook, Instagram, Twitter), il faut noter que la communication numérique ou à distance ne peut remplacer les interactions sur le terrain avec les électeurs. Celle-ci risque d’alimenter davantage la désaffection des Marocains vis-à-vis de la chose partisane et des urnes (ceux qui sont connectés ne sont pas nécessairement ceux qui votent). Dans tous les cas, même avec cet investissement numérique pour les principales formations, les partis politiques ne semblent pas avoir réussi à développer leurs méthodes de travail, ce qui les rend prisonniers de la pression du moment électoral.
La crise inédite du Covid-19 dont la sortie est encore très incertaine rendra la construction de programmes nuancés très difficile. Car la pandémie a créé une situation exceptionnelle et a conduit à un large consensus sur plusieurs thématiques socioéconomiques et notamment sur l’urgence d’accélérer l’adoption de politiques sociales. Si les thèmes de campagne basés sur des enjeux socio-économiques sont déjà connus, la vraie question est de savoir comment les partis vont arriver à cristalliser des mots d’ordre convaincants dans une conjoncture d’incertitude.
Si le contexte exceptionnel de crise sanitaire engage les partis politiques, majorité et opposition, à rivaliser pour des solutions réalistes susceptibles de faire face à la pandémie et ses impacts, la perspective des élections de 2021 s’impose donc dans leur programme d’action.
3 – Au regard de leur situation interne, certaines formations comme le PJD et le PAM sont-elles en mesure de mobiliser comme par le passé ?
Après les législatives d’octobre 2016, le paysage politique a été livré aux querelles, aux attaques verbales et aux tensions. Et depuis, on ne peut perdre de vue que le PJD est dans une posture moins favorable que lors des précédentes élections. En effet, après dix ans au pouvoir et des compromis que certains jugent douteux, voire à l’opposé de ses références idéologiques, le PJD n’a plus sa verve d’antan. Surtout, le parti offre l’image d’une formation politique divisée, où les dissensions et les querelles intestines sont nombreuses. Par ailleurs, outre le fait qu’il soit aussi comptable du bilan gouvernement, il aborde en plus les prochaines échéances avec plusieurs éléments qui devraient jouer en sa défaveur. Il s’agit, notamment de la grogne sociale qui sévit actuellement et qui touche de nombreux secteurs, ou encore de la gestion de certains dossiers comme la libéralisation des hydrocarbures et les enseignants contractuels.
De même, depuis les législatives de 2016, le PAM est resté complètement paralysé et en proie aux luttes intestines. Le regroupement en son sein des notables ne pourrait déboucher que sur l’exacerbation de leurs antagonismes en raison de l’insuffisance des sièges que pourrait engranger un parti et des postes dont il pourrait disposer pour combler ses prétendants devenus nombreux.
Même avec l’élection d’un nouveau Secrétaire général en février 2020, les problèmes de leadership, de cohérence idéologique, de mobilisation des troupes et du programme électoral persistent. Dans pareille situation, seule la base sociologique de ce parti reste déterminante. Le PAM fait donc face à des questions existentielles difficiles à résoudre même dans le moyen terme. Après tout, près de 12 ans passés dans l’opposition, est-ce que ce parti programmé pour être un parti de premier plan et un parti de gouvernement aura une place dans la future majorité issue des élections 2021?
En somme, malgré les constats soulevés, il est difficile de spéculer sur l’avenir électoral du PJD comme celui du PAM, et s’ils sont tous les deux capables ou non de rééditer l’exploit de 2016. En effet, tout dépendra du taux de participation et de l’existence d’une autre offre alternative et crédible.
4 – Les partis sont-ils capables en ces circonstances de faire propulser de nouveaux visages aux élections ?
Plus généralement, trois fonctions sont traditionnellement reconnues aux partis: l’intégration sociopolitique, la production idéologique et programmatique, et la sélection des élites et des candidats. Alors que les candidats sont des acteurs clés du cycle électoral, leur sélection par les appareils partisans s’opère comme un filtre entre les citoyens-électeurs, d’un côté, et le personnel politique exécutif ou législatif, de l’autre. Partant de ce constat, comme ailleurs, dans le contexte marocain, la présentation par les partis politiques de candidats crédibles, capables de répondre aux problématiques du moment et surtout de rétablir la confiance est une opération délicate. En effet, l’amélioration des critères d’accréditation des candidats est l’un des grands défis à relever pour réussir les élections de 2021. Si les partis ne présentent pas de candidats crédibles, la participation risque encore d’être plus faible. Et la crise de confiance entre citoyens et élites politiques risque de s’aggraver. D’où une grande responsabilité qui incombe aux partis politiques pour choisir des candidats capables de mener à bien leurs missions au niveau tant de l’institution législative que des collectivités territoriales.
Or, alors que les partis sont appelés cette année à présenter plus de candidats qu’avant, vu l’adoption du non-cumul des mandats électoraux qui empêchera les élus d’être à la fois sur le front des communales, des régionales et des législatives, et dans l’état actuel des choses, les partis sont assujettis à mobiliser de nouvelles compétences et à attirer de nouvelles personnalités crédibles pour participer au jeu électoral. Vu le contexte social et économique, les partis doivent prendre leurs responsabilités et en finir avec le mode de cooptation basé sur le clientélisme, les intérêts financiers ou politiciens.
En tout cas, en dépit de l’amélioration du niveau d’instruction des parlementaires et des élus locaux et régionaux au cours des derniers mandats, les formations partisanes sont très attendues pour mettre fin à l’analphabétisme et au faible niveau d’instruction parmi les élus, tant au niveau national, que communal et régional.
5 – A la lumière de l’introduction d’un nouveau quotient électoral, quelle donne pourrait émerger de ces échéances ?
Il faut d’abord souligner qu’au cours des dernières années la scène politique et partisane nationale a connu l’émergence de tendances hégémoniques qui se prétendent investies de la légitimité populaire. Dans cette optique, des partis politiques aussi bien du côté de la majorité que du côté de l’opposition contestent la mainmise du PJD sur le microcosme politique depuis dix ans. Pour la plupart des partis qui ont adopté le quotient électoral, ce mécanisme est bénéfique pour le processus électoral et le fonctionnement des institutions qui en découleront. Il fallait donc réagir ainsi.
Jusqu’en 2016, le calcul du quotient électoral s’opérait en soustrayant les voix valides obtenues par les listes n’ayant pas atteint le seuil électoral du nombre total des bulletins valides, sans compter les bulletins nuls. Cette fois-ci, le calcul du quotient sur la base des inscrits aux listes électorales au lieu des suffrages exprimés. Théoriquement, il en ressortira un très grand quotient électoral, et donc tous les partis politiques ne seront pas éligibles au nouveau quotient et gagneront des sièges au plus fort reste.
Il faut en fait rappeler que ce sont les candidats désignés têtes de liste qui auront le plus de chances de remporter un siège de député et que les 2ème et 3ème sur les listes ne pourront pas être élus à moins d’un taux de participation très important. Ce qui va, en effet, pénaliser les vainqueurs potentiels des élections de 2016, c’est-à-dire PJD et le PAM, qui risqueront de se retrouver avec moins de sièges au sein de la représentation nationale en comparaison avec le scrutin de 2016. En définitive, l’amendement du mode de calcul du quotient électoral va certainement accroître la compétition dans les grandes circonscriptions urbaines. Avec cette donne, se mettra alors en place un jeu très complexe de séduction entre les partis et les notables. Et donc les ralliements risquent d’être plus nombreux lors des prochaines échéances à cause du changement du quotient électoral.