GhaliGate: l’accueil en catimini du chef du Polisario, une « sacrée entorse aux us et coutumes diplomatiques » de l’Espagne à l’égard du Maroc (Expert)
Pour Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Securité en Europe (IPSE), l’accueil en catimini du chef du Polisario, Brahim Ghali, poursuivi en Espagne pour crimes de guerre, est « sacrée entorse aux us et coutumes diplomatiques de la part de l’Espagne vis-à-vis du Maroc, deux pays liés par la proximité géographique, l’histoire partagée et une profonde et longue relation ». L’expert géostratégique souligne aussi qu’il ne faut pas oublier que l’intrigue se joue aussi à Alger dans ce qu’il est convenu d’appeler le « GhaliGate ».
Poursuivi en Espagne pour crimes contre l’humanité et viols, comment l’Espagne a-t-elle accepté d’accueillir en cachette le chef des milices du Polisario sans mettre en péril sa relation avec le Maroc ?
Emmanuel Dupuy: en effet, le chef du Polisario est sous le coup d’une action en justice engagée devant l’Audencia Nacional espagnole, par des citoyens sahraouis et, ce depuis 2006. Brahim Ghali est accusé de faits graves et de crimes imprescriptibles : assassinat, torture, séquestration, enlèvement…
Cet accueil est en tout cas une sacrée entorse aux us et coutumes diplomatiques de la part de l’Espagne vis-à-vis du Maroc, deux pays liés par la proximité géographique, l’histoire partagée et une profonde et longue relation économique. J’en veux pour preuve les quelques 12 milliards d’euros actuels de la balance commerciale entre les deux pays. Cette somme devrait, du reste, être multipliée par deux dans les cinq prochaines années, comme l’ont rappelé les deux monarques, Mohammed VI et Felipe VI.
Qu’il s’agisse par ailleurs de la maitrise conjointe de la migration, la lutte concertée en matière de trafic de drogue ou du partage de renseignements en matière de terrorisme, les deux Etats collaborent activement. Sur le dernier point, celui de la « guerre » contre le terrorisme, la radicalisation djihadiste et la lutte contre l’extrémisme violent, Rabat a constamment – et encore récemment – aidé Madrid et Paris, à démanteler plusieurs cellules terroristes prêtes à passer à l’action, dont une la semaine dernière à Grenade, prête à agir en France.
Comme l’a donc rappelé, avec justesse, mon collègue Mohamed Benhamou, président su CMES, l’accueil « en catimini » du chef du Polisario, Brahim Ghali à Logroño, est bel et bien un « coup de poignard des espagnols dans le dos des Marocains ».
Comment expliquer cette attitude inamicale et conspirationniste du gouvernement espagnol à l’égard du Maroc ?
On savait la proximité avec le Polisario du parti Podemos, partenaire du Parti socialiste au sein de la coalition fragile au pouvoir en Espagne. Pablo Iglesias Turrion, ne s’en est jamais caché. Cet épisode fâcheux entre Rabat et Madrid traduit aussi de profondes tensions propres au paysage politique espagnol, où l’agenda des velléités indépendantistes – notamment catalane et basque – est souvent associé au soutien de leurs leaders au mouvement séparatiste du Polisario.
Il convient, bien évidemment, de ne pas oublier que l’intrigue se joue aussi à Alger dans ce qu’il est convenu d’appeler le « GhaliGate ». N’est-ce pas par le truchement d’un passeport diplomatique algérien que le chef du Polisario est entré en Espagne. L’on évoque, d’ailleurs, sous cape, que l’Algérie aurait fourni un avion présidentiel, au chef du Polisario, ardemment soutenu et armé par les généraux algériens, véritables tenants du pouvoir à Alger, et ce depuis la création du groupe armé, en 1973.
Qu’en est-il de la stratégie de l’Algérie dans ce scandale d’Etat ?
L’Algérie semble inscrire cette stratégie de la reprise de « tension progressive » avec le Maroc dans un agenda précis visant à donner l’impression que la conflictualité saharienne est aussi grave que celle qui obère la stabilité des Etats sahéliens ! L’Algérie ne cesse d’insister, du reste, pour que « l’état de guerre » soit constaté par l’ONU, tout en pointant du doigt l’inefficacité et de facto l’inutilité de la Minurso.
Il en a résulté le blocage, en novembre dernier, du poste frontière de Guerguerat et les tentatives de mener des opérations militaires contre les Forces Armées Royales (FAR) et les Forces Auxiliaires, qui se sont soldées par le décès du chef de la Gendarmerie du Front Polisario, Addar Al-Bendir, il y a quelques semaines, dans la zone de Tifariti, au Nord-est du Mur de sable. Le non-respect du cessez-le-feu de septembre 1991, à l’initiative du Polisario, visait ainsi à dramatiser nettement la situation.
C’est, également dans cet objectif d’accroitre la tension sur la zone tampon que l’Algérie et le Polisario tentent actuellement de faire évoluer les positions des chancelleries en leur faveur. L’objectif recherché reste, bien sûr, la remise en cause de la décision américaine reconnaissant la marocanité du Sahara. Il en résulte une volonté évidente à mettre en porte à faux les pays européens quant à leur soutien au plan d’autonomie proposé en 2007 par le Maroc, notamment, au niveau du Parlement européen. Quant à la décision américaine du 10 décembre dernier. Madrid et Paris sont ainsi les deux principales cibles. En ce qui concerne Washington, les « défenseurs » du Polisario, John Bolton et Christopher Ross ou encore le lobbyiste David Keene agissent, désormais, sans fard ni masque tant dans les couloirs du Congrès que de ceux des Nations Unies.
Gageons que la nomination imminente de Steffan de Mistura, fort de sa riche expérience en Syrie, Irak et en Afghanistan, pour succéder Horst Kohler, l’ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Sahara, vienne mettre en échec cette stratégie de la fuite en avant.