Autant le dire, la reprise de ces négociations directes n’est pas du goût de tout le monde. D’où, sans doute, ces campements soudains surgis du désert, à quelques kilomètres de Laâyoune, de la part de populations sahraouies qui ont boudé leurs logements pour exprimer des revendications sociales. Un caillou dans l’agenda de Manhasset?
Afghanistan ou Somalie
En tout cas, les grandes puissances, de Washington à Paris, en passant par Madrid, parrainent cette solution d’une large autonomie proposée par le Maroc, afin de préserver leurs propres intérêts politiques, économiques et géostratégiques. Pour Washington, il s’agit d’une constance entre les administrations Bush et Obama, qui voient à travers l’autonomie une manière de garantir l’ordre et la stabilité dans un arc de cercle qui va du Sahara au Sahel. Plus qu’un improbable syndrome d’Afghanistan, les officines occidentales de renseignement redoutent plutôt une somalisation de la région avec, en prime, la rupture des liaisons maritimes et terrestres entre une bonne partie de l’Afrique et l’Europe. C’est justement la crainte de Paris et des grandes entreprises du CAC 40, qui évacuent matières premières et pétrole via le Golfe de Guinée.
En attendant, le Nigeria est devenu un véritable challenger de Sonatrach avec, pour la première fois, des quotas plus importants en juillet et en août (31% contre 29% pour Sonatrach).
La France, via Areva, qui lui fournit une bonne partie de son électricité, craint qu’une nouvelle entité au nord de la Mauritanie, disposant d’une ouverture sur l’Atlantique, quoique pesant quelques dizaines de milliers d’habitants, ne nuise autant au commerce international que l’Erythrée l’a fait dans la corne de l’Afrique. Tous les navires qui parcourent ce passage très fréquenté sont obligés aujourd’hui de payer des surprimes de guerre.
Des enjeux sécuritaires
Si ce sont les pirates somaliens qui terrorisent le golfe d’Aden, l’inspiration et la force de frappe vient de l’Erythrée, cette « Corée du Nord » d’Afrique, qui sert de base arrière aux chefs de guerre. Ces enjeux sécuritaires de la somalisation de la bordure atlantique de l’Afrique du Nord faisaient encore rire, il y a une année, tous les spécialistes de la région. Mais, depuis que le nord du Mali est perturbé par AQMI et que, sur la route reliant Dakhla à Nouadhibou, face à Las Palmas, des humanitaires espagnols ont été enlevés en novembre 2009, le ton a changé. Y compris à Madrid, où le Polisario trouvait historiquement des oreilles attentatives.
Rompant avec l’option de la grande Espagne d’Aznar, le premier ministre socialiste, José Luis Zapatero, prône le rapprochement stratégique avec Paris. La montée du terrorisme à sa porte sud explique le souci de Madrid d’élever le dossier au niveau européen et de se rapprocher avec Rabat, son voisin immédiat, dans une sorte de boucler anti-terrorisme. Faut-il dès lors traduire le soutien espagnol au plan d’autonomie sous le seul angle sécuritaire ?
Du gaz, toujours du gaz
En tout cas, ce revirement espagnol, effectif depuis 2005, s’est traduit, côté algérien, par la volonté de remettre le « prix préférentiel » de gaz vendu à l’Espagne sur la table des négociations. Un soubassement politique à la querelle entre Sonatrach et l’espagnol Gas Natural–Fenosa (GNF) est évoqué comme hypothèse sérieuse.
Pour rappel, il y a trois ans, en 2007, le groupement espagnol avait refusé de se conformer à une révision du prix du gaz algérien. Courant octobre 2010, la Chambre de commerce de Paris, qui fait office de tribunal international d’arbitrage, a tranché en faveur de Sonatrach. C’est dire que la prime de 20% en dessous du cours international, qui était, selon la ligne de défense de Sonatrach, le régime appliqué sur le gazoduc Maghreb Europe, est caduque.
Le groupement espagnol, qui n’est pas au mieux de sa forme financière, devrait en plus verser 1,5 milliard à son homologue algérien. Bref, l’affaire a atterri cet automne sur la table de Zapatero, sommé de régler le différend ou, à défaut, de devoir assister à la répercussion de la facture sur le consommateur. Confronté à un chômage de 20%, le gouvernement socialiste a choisi la solution la moins risquée : négocier avec Alger, qui, s’il décidait de passer l’éponge sur la facture, empêcherait un bond de 30% des prix du gaz sur le marché espagnol.
L’alternative nigériane
Cette mainmise algérienne pousse l’Espagne à opter pour la diversification de son approvisionnement en gaz. Ainsi, une loi permettant de ramener le plafond maximum autorisé à une compagnie étrangère de 50 à 30% est à l’étude. En attendant, le Nigeria est devenu un véritable challenger de Sonatrach avec, pour la première fois, des quotas plus importants en juillet et en août (31% contre 29% pour Sonatrach). Est-ce une coïncidence si la Russie drague justement le Nigeria et l’Algérie, deux alternatives qui peuvent diluer sa pression gazière sur l’Europe ? La visite récente de Dimitri Medvedev à Alger a été suivie, jusque dans les détails, à Madrid, Paris et Bruxelles. La Russie veut non seulement vendre ses Migs, mais aussi convaincre les deux pays africains d’aller plus loin dans la création d’une OPEP du gaz, une arme à la fois économique et diplomatique.
La pression russe
Si les intérêts des grandes puissances sont évidentes, quid des pays voisins, directement concernés par le Sahara et le Sahel ? Pour le Maroc, c’est évident, il s’agira d’un pas important vers le parachèvement de sa souveraineté, amputée au Sud et au Nord lors des grandes conquêtes coloniales.
Pour l’Algérie, partie prenante du conflit, le règlement du dossier dépasse le cadre stratégique, géostratégique, et touche même à la fierté nationale. L’affaire du Sahara avait été érigée en cause nationale. Pour la Mauritanie, l’autonomie proposée serait synonyme de gains de sécurité, compte tenu des importants trafics qui se servent du nord-est de son territoire comme zone de transit. Idem pour le Mali, concerné indirectement, puisqu’il est admis que les armes qui circulent dans son nord proviennent en partie du Sahara. C’est dire l’enjeu de Manhasset V.
Enjeu sociétal
Au-delà du gaz, du pétrole et des territoires, Manhasset pose la question du modèle de société dans une Afrique où l’autonomie, la régionalisation et, a fortiori, le fédéralisme ne sont pas souvent acceptés par des modèles étatiques centralisés et des élites conservatrices. L’affaire du Sahara, passif de la guerre froide, traduit cette distance entre un modèle marocain tourné vers l’économie de marché et son homologue algérien, qui n’a pas encore terminé son difficile virage vers la modernité. Ce virage concerne plus d’un état africain.