Au lendemain d’une mobilisation massive qui a vu plus de 850.000 personnes descendre dans la rue, Edouard Philippe est intervenu pour défendre le principe de la réforme et répéter que l’exécutif mettra un terme aux régimes spéciaux. Mais il aussi promis "des transitions progressives", en particulier pour les cheminots et les enseignants, leur assurant qu’ils n’y perdront rien.
Alors que le Premier ministre doit présenter l’intégralité du projet mercredi, un intense week-end de consultations attend les deux têtes de l’exécutif pour arbitrer les différents volets de cette réforme aussi explosive que complexe.
Pour le président de la République, qui a fait de la "transformation" du pays, la raison d’être de son quinquennat, les jours à venir s’annoncent déterminants.
"Si Emmanuel Macron recule sur la réforme, il joue la crédibilité de la parole publique et perd des deux côtés, chez ses supporters comme chez les sceptiques", résume Franck Louvrier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
"Les Français, qu’ils soient d’accord ou non avec lui, estiment qu’il ne trahit pas ses engagements. Au moins, il n’y a pas de procès en trahison", appuie Jean-Daniel Lévy de Harris Interactive.
Mais la ligne de crête est étroite. Comme le socle de partisans d’Emmanuel Macron qui s’est stabilisé autour d’un tiers de satisfaits (33 %, contre 65 % de mécontents, selon un récent sondage Ifop).
Après un début de mandat où il a mené plusieurs réformes au pas de charge, le doute a fini par s’installer jusqu’au sein de son propre camp, selon Bruno Cautrès, du Cevipof.
Les enseignants, la clé ?
"Sa capacité à réformer n’est plus la même qu’au début de son quinquennat, c’est l’effet d’usure du pouvoir", reconnaît un conseiller ministériel. "Mais il peut s’appuyer sur son socle et a engrangé des soutiens chez les électeurs de droite". Au risque, souligne Bruno Cautrès, "d’incarner de plus en plus une présidence de centre-droit, voire de droite".
Aujourd’hui, c’est surtout cet électorat qui l’attend au tournant et tout recul trop important face aux organisations syndicales serait considéré comme un péché mortel par les soutiens du président à droite.
L’exécutif semble prêt à lâcher du lest sur sa réforme, à la fois sur les délais et les modalités pour certaines catégories, notamment les cheminots et les enseignants.
"Le défi, c’est les enseignants", martèle un cadre de la majorité.
M. Philippe leur a de nouveau adressé un message, évoquant la revalorisation "progressive" de leurs salaires puisqu’une "application absurde" des nouvelles règles de retraite "les pénaliserait".
"Alors que les syndicats cherchent à élargir le mouvement pour agréger les mécontentements, le gouvernement doit éviter le seuil critique. La clé est sans doute le sort des enseignants, une catégorie qui bénéficie d’un capital de sympathie", ajoute un conseiller ministériel.
En définitive, même si Edouard Philippe a été chargé de porter la réforme c’est bien Emmanuel Macron qui sera jugé. Selon un récent sondage Elabe, 43 % des Français estiment que la grève actuelle est d’abord une mobilisation globale contre la politique du chef de l’Etat, avant d’être une opposition à la réforme des retraites.
Et jeudi, dans les nombreux cortèges à travers la France, c’est au président que la rue a demandé des comptes, comme au plus fort de la crise des "gilets jaunes". En 1995, on brocardait le Premier ministre Alain Juppé. 24 ans plus tard, il n’y en a que pour Emmanuel Macron.