Elisabeth Guigou à Marrakech : « Les pays méditerranéens sont appelés à se focaliser plus sur ce qui les réunit dans la diversité »
Mme Guigou, qui présidait une conférence sous le thème "la Méditerranée : Les défis culturels au 21è siècle" dans le cadre des Journées spirituelles de Marrakech, a estimé que la diversité culturelle caractérisant cet espace géographique est une richesse au service du dialogue et du rapprochement des civilisations.
Les pays méditerranéens sont appelés à se focaliser plus sur ce qui les réunit dans la diversité, a ajouté cette fervente défenseur du dialogue des civilisations, qui a reconnu toutefois que la situation politique actuelle dans l’espace méditerranéenne est "déprimante et ne cesse de se dégrader : repli sur soi et rejet de l’autre, fermeture des frontières, montée du populisme, de l’extrémisme et du terrorisme, une immigration mal-organisée en plus des défis du changement climatique.
Face à tous ces défis, les Etats réagissent par la fermeture des frontières, ce qui contredit l’héritage de liberté et d’hospitalité du pourtour méditerranéen, a-t-elle déploré, estimant que la fermeture des frontières a grandement nui au dialogue des civilisations dans cet espace géographique.
L’ancienne ministre des affaires européennes et ancienne ministre de la Justice et Garde des Sceaux a appelé à promouvoir la traduction d’œuvres arabes en langues européennes et vice-versa étant donné le rôle important de la traduction dans la promotion du dialogue, de la compréhension, du rapprochement des civilisations et le transfert du savoir dans l’espace méditerranéen.
Le Consul général de France à Marrakech, Philippe Casenave, a relevé pour sa part, que "la Méditerranée politique" n’existe pas encore en raison de la situation de tensions et de conflits qui prévaut actuellement, rappelant l’influence qu’a exercée la rive Sud de la Méditerranée sur les civilisations européennes tout au long de l’histoire.
Dans ce cadre, M. Casenave a mis l’accent sur le modèle unique de la cohabitation et du vivre-ensemble qui a caractérisé historiquement la rive sud et qui est passée par la suite à la rive Nord, passant en revue certains défis, dont fait face cet espace dont notamment le défi sécuritaire.
La poétesse, traductrice et chercheur en soufisme, Mme Touria Ikbal, a relevé que "la méditerranée est Notre Mer (Mare Nostrum) mais aussi et avant tout "Notre mer", qui entoure ses enfants du Nord au Sud et d’Est en Ouest, et les réunit quand ils continuent à s’aimer et à savoir vivre ensemble".
Cette valeur nous rappelle Ibn Arabi, une figure éminente de cette Méditerranée qui pratiquait "la religion de l’Amour", a-t-elle ajouté, appelant à suivre les pas de cet ouléma et théologien soufi et expérimenter ce pur Amour capable de résoudre les conflits et de ramener à la Paix profonde.
"Nous avons beaucoup à apprendre de ce philosophe andalou pour regagner la voie de l’hospitalité, de l’ouverture à l’autre et de la sagesse universelle", a-t-elle insisté.
Le professeur, chercheur et spécialiste de l’urbanisme et du patrimoine, Mohamed Metalsi, a pour sa part, apporté un éclairage sur ce que la culture de la rive sud de la Méditerranée et plus largement celle du monde arabo-musulman apporte à l’Europe depuis le Moyen âge ainsi que sur la voie empruntée actuellement dans la construction de l’identité européenne.
Cet ex-doyen de la Faculté Euro-méditerranéenne de Fès et ex-directeur de l’action culturelle à l’Institut du Monde arabe (IMA), a estimé que la pensée occidentale a établi la filiation unique et exclusive de la civilisation européenne avec l’héritage gréco-romain ou judéo-chrétien tout en rejetant les sources orientales et l’apport de la civilisation arabo-musulmane, l’héritage de la Mésopotamie, l’Egypte, l’Inde, la Chine, qui ont irrigué la Grèce et la culture hellénistique.
L’expert international, Richard Veneau, a fait remarquer de son côté, que la Méditerranée est actuellement un espace géopolitique caractérisé par des conflits interminables, des tensions religieuses et trop de lignes de fractures.
L’auteur du "Discours à la nation méditerranéenne" a abordé dans son intervention "la géopoétique", un concept qui consiste à œuvrer à construire un destin commun dans un espace géographique complexe et à rechercher un faire ensemble qui dépasse la tragédie des coexistences réputées impossibles.
Le professeur de sciences politiques et de relations internationales, Joseph Maila, a mis l’accent dans son intervention sur les paradoxes de la Méditerranée, une mer partagée, berceau de civilisations multiples d’une part et le sentiment de distance qui prévaut aujourd’hui entre les pôles de cette mer commune d’autre part.
La jonction des mondes méditerranéens fait d’interaction et d’change a néanmoins façonné une mentalité méditerranéenne toute de communication et d’ouverture, a-t-il ajouté, relevant que dans ce monde, qui semble clos de prime abord avec son aspect de lac, l’ouverture est partout présente avec ses ponts naturels ou advenus que sont ses canaux, ses détroits, ses isthmes et ses passages.
La Méditerranée fut et sera toujours une scène où s’affrontent les grandes puissances depuis les Grecs et les Perses jusqu’aux protagonistes de la Guerre froide, a-t-il tenu à rappeler.