Yade : «Des stades dignes de l’ambition de la France»
Bientôt dix mois que Rama Yade «s’est mise» au sport. Et dans son bureau du ministère, avenue de France, elle défend ses convictions. Avec passion. En martyrisant un mini-skateboard. Rencontre…
Rama YADE. – Le dossier de candidature que la Fédération française de football m’a remis la semaine dernière est remarquable. Certes, nous avons des concurrents sérieux avec la Turquie et l’Italie. Mais l’État a débloqué un fonds de 150 millions d’euros pour les stades. Avec le soutien financier des collectivités territoriales et du privé, la France investira 1,7 milliard pour rénover huit stades et en construire quatre. Nous inventons un nouveau modèle de financement, puisque 35% viendra du secteur privé, 49% sera mixte et seulement 16% public. Les volets développement durable et responsabilité sociale ont également été pris en compte. Le président de la République et le premier ministre ont confirmé cette semaine à la délégation de l’UEFA le soutien total des autorités. La France aborde la dernière ligne droite avec confiance mais humilité.
L’édification des nouveaux stades se heurte à des problèmes de politique locale.
L’ensemble des partis politiques, y compris les Verts, a signé une lettre de soutien à la candidature française. Roselyne Bachelot et moi-même avons déjà fait voter par le Parlement une nouvelle disposition sur la déclaration d’intérêt général, en juillet 2009, afin de lever les obstacles juridiques. Les concertations avec les communes concernées sont normales. Chacun souhaite qu’un consensus se dégage. Et c’est possible ! Et quel que soit le verdict pour l’Euro 2016, les nouveaux stades verront le jour, c’est une nécessité. J’ai obtenu du président de la République que le fonds de l’État demeure quoi qu’il arrive. Les enceintes actuelles ont 66 ans de moyenne d’âge. Les acteurs locaux devront rendre compte aux amateurs de sport si les projets n’avancent pas pour des raisons politiciennes.
Pourquoi le sport reste-t-il une composante mineure aux yeux des politiques ?
Avec 16 millions de licenciés, 250 000 associations et 3,5 millions de bénévoles, le sport est une réalité populaire très forte. Si une petite élite médiatico-politique le considère comme un sujet mineur, c’est une grave erreur. Le sport est aussi un enjeu économique important et un outil diplomatique formidable. Quelle autre activité propose des émotions collectives aussi fortes ? Le modèle sportif français fonctionne. Il semble résister d’ailleurs mieux à la crise économique que ceux d’autres pays. Grâce à la formation et à notre modèle de gestion financière, nous assurerons sa viabilité. Mais il faut rester vigilant car, en France aussi, le sport subit les conséquences de la crise économique.
Le rapport Costantini a montré que la France était un tout petit d’Europe en matière de grandes salles. Comment rattraper notre retard ?
Depuis le POPB il y a vingt-cinq ans, la France n’a construit aucune grande salle de plus de 10 000 places. Le rapport Costantini est une contribution majeure pour tenter de remédier à ce manque en proposant la construction de sept «arenas», dont une de plus de 20 000 places. L’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit d’accueillir des grandes compétitions et de permettre à nos clubs de se développer. Ces équipements multifonctionnels devront également bénéficier au sport associatif et scolaire. Mon rôle est de faciliter la réalisation des projets. Un comité «arenas» va se mettre en place pour coordonner les initiatives des collectivités et des acteurs privés. Il faut accélérer la construction de stades et grandes salles dans notre pays.
Le mouvement sportif ne doit-il pas aussi faire sa révolution ?
L’échec de Paris 2012 est resté dans les consciences sans que l’on soit allé au bout des leçons à en tirer en matière de lobbying. Il y a tout un travail stratégique à faire. Il est urgent par exemple de créer une association francophone des CNO. Il est aussi indispensable de mettre en avant les sportifs pour avoir des candidatures gagnantes. C’est la raison pour laquelle Edgar Grospiron porte la candidature d’Annecy 2018.
Toujours à propos des stades,le cas de Jean-Bouin tourne à la polémique à Paris. Votre avis ?
L’État n’est pas partie prenante de ce projet. Je ne veux pas m’immiscer dans cette affaire. Toutefois, il conviendrait aussi de s’interroger sur l’avenir des stades existants qui n’ont pas de club résident, comme le stade Charléty ou le Stade de France. Dans le cas de Jean-Bouin, les acteurs devraient impérativement sortir des positions radicales et s’entendre. Max Guazzini, qui a fait du Stade Français un grand club, doit pouvoir jouer dans un grand stade. Cela me désole de le voir dans cette situation. C’est comme la Formule 1, je regrette qu’on n’ait plus de circuit en France. L’intransigeance des écologistes ne doit pas nuire au sport français et à ses retombées économiques. Réfléchissons plutôt au rôle du sport dans le développement durable. Il peut avoir un rôle moteur. Sortons de cette guerre de tranchées. C’est d’ailleurs tout le sens des Assises du sport et du développement durable que j’organise le 20 mai.
Et au sujet du nouveau stade du Racing qui concerne Colombes, votre ville ?
Je vous parle en tant que secrétaire d’État chargée des Sports et non en qualité d’élue locale. Je trouverais dommage que le Racing-Métro 92 tourne le dos au mythique et olympique stade Yves-du-Manoir sans que l’on ait cherché toutes les solutions, à la fois pour la rénovation du stade et sa desserte par les transports publics dont l’insuffisance est un problème. Jean-Paul Huchon pourrait davantage s’impliquer dans ce dossier : il n’y a pas de raison que ce stade ne puisse accueillir 40 000 personnes alors qu’il pouvait accueillir 100 000 supporteurs en 1924 ! Colombes fait partie du patrimoine culturel français. Je souhaite que le conseil général des Hauts-de-Seine et le club en tiennent compte. Le Racing est un acteur historique du sport à Colombes, mais quelle que soit sa décision je suis convaincue qu’il faut maintenir une grande ambition sportive pour Yves-du-Manoir.
Quid d’une éventuelle délocalisation de Roland-Garros ?
Avec son histoire gigantesque et son image irremplaçable, ce tournoi est le plus prestigieux au monde. Le tournoi doit se développer, mais il subit les contraintes du site : un espace restreint et des règles d’urbanisme strictes. La priorité, c’est l’avenir et le rayonnement international du tournoi. J’attends que la fédération précise ses projets et dise si Roland-Garros peut se développer sur le site actuel.
Bientôt dix mois après votre entrée en fonction, avez-vous gagné votre match ?
Le match n’est pas fini. Tant que je suis sur le terrain, je continue à jouer. Je suis heureuse et fière d’être dans ce ministère, très républicain et qui, à bien des égards, est celui de l’éducation populaire, celui des territoires, des petits clubs, des publics exclus, celui des valeurs et de la cohésion sociale. Je dois encore affronter le machisme de certains, mais je construis vaillamment, comme d’autres femmes, Marie-George Buffet ou Michèle Alliot-Marie avant moi. J’ai ouvert de nouveaux chantiers. Sur les sujets de société comme l’homophobie, les violences, la protection de l’enfance et le développement durable, je me suis engagée. Mon objectif est de donner plus de visibilité au ministère des Sports. Et je sais que, passionné de sport comme il est, le président de la République est aussi un grand soutien des sportifs et ça, c’est précieux, notamment pour les grandes décisions…