Défi courageux lancé aux conservateurs? «Suicide social»? Ou provocation gratuite qui va renforcer les islamistes en choquant la majorité très conservatrice et pieuse des Égyptiens?
Le débat fait rage en Égypte, particulièrement sur Twitter, depuis que la nouvelle s’est répandue qu’Aliaa Magda Elmahdy a créé fin octobre un blog sur lequel elle et un de ses amis posent entièrement nus. La jeune femme, qui se définit comme «individualiste et athée» était jusqu’alors une inconnue en Égypte, mais elle se présente sur son compte Facebook comme la petite amie de Karim Amer, un blogueur alexandrin condamné en 2007 à quatre ans en prison pour avoir «insulté l’Islam» sur son blog. Il y avait notamment dénoncé la dérive fondamentaliste, selon lui, de la mosquée-université d’Al-Azhar, vitrine de l’islam officiel égyptien.
«J’ai peur pour elle»
Le blog d’Aliaa Elmahdy reprend également un appel à la libération de Maikel Nabil, autre blogueur emprisonné pour avoir critiqué l’armée au pouvoir, actuellement en grève de la faim, et qui avait déjà eu maille à partir avec la justice en se revendiquant athée et pro-israélien. Sur Facebook, Aliaa Elmahdy précise se faire l’écho de «ceux qui sont en colère contre une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d’hypocrisie».
«Si cette jeune femme est bien celle qu’elle dit être, elle vient d’un milieu ultra-laïcard, limite fondamentaliste, qui veut casser tous les tabous», souligne Issandr el-Amrani, auteur du blog de référence The Arabist. «C’est très courageux de sa part, mais je ne suis pas sûr qu’associer la laïcité à la nudité soit le meilleur moyen de servir sa cause. Ce genre de débats sociaux avance parfois grâce à des crises, mais dans le contexte égyptien actuel, j’ai plutôt peur pour elle.»
Bataille électorale
La tension est vive à l’approche des législatives, premières élections de l’après-Moubarak, qui doivent débuter le 28 novembre sous la surveillance étroite de l’armée au pouvoir. Islamistes et libéraux ont déjà commencé à se déchirer sur la nature de la future Constitution, les premiers insistant pour que la loi fondamentale reste basée sur la charia, les seconds tentant d’imposer l’idée d’un état civil.
«C’est sûr que beaucoup de gens, à commencer par les islamistes, vont chercher à décrédibiliser tous les libéraux qui soutiennent Aliaa Elmahdy en les présentant comme des débauchés et des prostituées», déplore Shahinaz Abdel Salam, blogueuse alexandrine très engagée pour les droits des femmes, auteur de «Égypte, les débuts de la liberté» (chez Michel Lafon, octobre 2011).
«À titre personnel, je respecte totalement sa démarche et je ne vois pas ça comme une provocation, mais il faut reconnaître que c’est très choquant pour l’immense majorité des Égyptiens», ajoute-t-elle.
Aliaa Elmahdy, elle, assure n’avoir rien fait de transgressif en posant nue, mais seulement s’être inspirée «des modèles nus qui posaient à la faculté des Beaux-Arts du Caire dans les années 1970».
«Regardez-vous dans un miroir, ajoute-t-elle sur son blog. Pourquoi détestez-vous votre corps? Vous devez avoir un problème avec votre sexualité.»