"J’ai donné des instructions à la gendarmerie nationale" pour empêcher la venue de manifestants "d’autres wilayas" (préfectures) à Alger, a déclaré lors d’un discours le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et homme fort de l’Algérie depuis la démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril.
A cette fin, il a appelé à "l’application rigoureuse des réglementations en vigueur, y compris l’interpellation" et la saisie "des véhicules et des autocars utilisés", ainsi que la délivrance d’"amendes à leurs propriétaires".
Dans ce discours prononcé à Tamanrasset, dans l’extrême sud du pays, le général Gaïd Salah a motivé sa démarche par l’existence de "certaines parties (…) aux intentions malveillantes, (qui) font de la liberté de déplacement un prétexte pour justifier leur dangereux comportement", lequel "consiste à créer tous les facteurs qui perturbent la quiétude des citoyens".
Ces "parties", non identifiées, drainent "chaque semaine des citoyens (…) vers la capitale afin d’amplifier les flux humains dans les places publiques, avec des slogans tendancieux qui n’ont rien d’innocent", a argué Ahmed Gaïd Salah.
"Leur véritable objectif est d’induire l’opinion publique nationale en erreur avec ces moyens trompeurs pour s’autoproclamer fallacieusement comme les porte-voix du peuple", a-t-il tonné.
"Faux prétextes"
Depuis bientôt sept mois, l’Algérie est le théâtre chaque vendredi de manifestations contre le pouvoir. Celles-ci ont abouti à la démission du président Bouteflika en avril, mais elles se sont poursuivies sans faiblir avec parmi ses mots d’ordre le départ de l’ensemble du "système".
Face à la contestation, le pouvoir a choisi le passage en force en annonçant dimanche, lors d’une allocution du président par intérim Abdelkader Bensalah, une nouvelle date pour la tenue d’une élection présidentielle, le 12 décembre.
"Il n’ y a pas lieu, pour quiconque, de chercher des faux prétextes pour remettre en cause l’intégrité du processus électoral ou l’entraver", a jugé mercredi Ahmed Gaïd Salah, qui avait réclamé en début de mois qu’une date pour le scrutin soit vite fixée.
Une précédente tentative d’organiser une présidentielle, le 4 juillet, avait échoué, faute de candidats.
Le mouvement ("Hirak") rejette la tenue d’une élection avec le gouvernement actuel aux manettes. Il réclame au préalable le démantèlement de l’appareil hérité des 20 ans de présidence Bouteflika ainsi que la mise en place d’institutions de transition, ce que refuse le pouvoir.
Ce mardi, comme chaque semaine, les étudiants ont manifesté pour la 30e semaine consécutive, en exprimant leur opposition persistante à la tenue d’une élection présidentielle.
A Alger, les manifestations étaient officiellement interdites depuis 2001 lorsque la contestation a subitement éclaté, le 22 février, face à la perspective d’un cinquième mandat de M. Bouteflika.
"Vraiment choquant"
"C’est vraiment choquant. Au moment où nous avons dénoncé la fermeture de l’accès à la capitale à plusieurs reprises, le vice-ministre de la Défense (le général Gaïd Salah) assume publiquement de donner instruction aux forces de sécurité de bloquer l’accès à Alger", a déclaré à l’AFP Me Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH).
Cette décision est "illégale", a-t-il ajouté, affirmant qu’il n’y avait "aucune réglementation en ce sens, bien au contraire: la Constitution garantit aux Algériens l’égalité citoyenne et la liberté de circulation".
Cette décision ouvre "la voie de la discrimination entre Algériens sur la base des immatriculations des véhicules", a-t-il encore dénoncé.
Cette interdiction constitue un tour de vis supplémentaire du pouvoir dans son face-à-face avec les manifestants.
Depuis plusieurs semaines, la police procède à des arrestations avant le début de la grande manifestation du vendredi à Alger.
Selon le coordinateur du Comité national pour la libération des détenus (CNLD), 22 manifestants, qui avaient été interpellés vendredi dernier, ont été placés dimanche en détention provisoire.
Lundi, une autre figure du "Hirak", Samir Benlarbi a été placé en détention préventive. Celle-ci intervient après celles de l’opposant Karim Tabou, écroué le 12 septembre, et de l’ancien vétéran de la guerre d’indépendance Lakhdar Bouregaâ, incarcéré depuis le 30 juin.
Tous deux son poursuivis pour "atteinte au moral de l’armée".