Un parfum de guerre froide plane sur le sommet, tant le drame syrien a exposé le fossé béant existant entre les Etats-Unis et leurs alliés avec la Russie, qui a toujours affiché un soutien indéfectible au régime de Bachar Al-Assad.
A la veille de la rencontre, officiellement consacrée à la crise financière, M. Poutine a dénoncé les velléités d’intervention militaire occidentales en Syrie, qualifiant " d’absurdité totale " les affirmations de Washington, qui accuse le régime syrien d’avoir utilisé des armes chimiques lors d’une attaque dans les faubourgs de Damas, le 21 août, qui, selon les Etats-Unis, a fait 1 429 victimes, dont 426 enfants.
Lors d’une rencontre avec le Conseil présidentiel pour les droits de l’homme, mercredi 4 septembre, Vladimir Poutine a qualifié John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, de " menteur " pour avoir nié la présence de combattants d’Al-Qaida parmi les rebelles syriens à l’occasion d’un récent débat au Congrès. " C’était déplaisant et surprenant pour moi. Nous parlons aux Américains pensant qu’ils sont raisonnables, mais il ment et il sait qu’il ment ", a-t-il martelé, visiblement énervé.
Lors d’une interview, diffusée mardi sur la chaîne publique russe Perviy kanal, le président russe a voulu se montrer conciliant, n’excluant pas de devoir agir " fermement " si " des preuves convaincantes " de l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas étaient présentées au Conseil de sécurité de l’ONU.
Tout en soulignant le fait que la Russie a " suspendu " la livraison de missiles antiaériens S300 à la Syrie, M. Poutine a proféré une menace à peine voilée : " Si nous voyons que des actions sont entreprises en violation du droit international, nous allons réfléchir à ce qu’il convient de faire pour la fourniture d’armes sensibles à certaines régions du monde. "
Il s’agit d’une allusion à la fourniture de S300 à l’Iran, un contrat annulé il y a quelques années à la demande d’Israël et des Etats-Unis. Le 13 septembre, Vladimir Poutine doit rencontrer le président iranien, Hassan Rohani, à Bichkek, au Kirghizistan, en marge d’un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï, au sein de laquelle la République islamique jouit d’un statut d’observateur.
Aucune rencontre bilatérale n’est prévue entre M. Poutine et M. Obama, qui avait annulé sa visite à Moscou, prévue avant le G20, remplacée à la dernière heure par une escale en Suède, mercredi et jeudi matin. Une décision motivée par l’asile temporaire accordé par la Russie, en août, à Edward Snowden, l’ancien consultant du renseignement, considéré comme un " traître " par les autorités américaines pour avoir été à l’origine des fuites de documents classifiés sur les programmes de surveillance électronique menés par les Etats-Unis à travers le monde.
Barack Obama a fait savoir qu’il quitterait Saint-Pétersbourg sans assister à la soirée de réjouissances organisée par la partie russe en clôture du G20. M. Poutine a choisi son moment pour qualifier, mercredi, M. Snowden de " défenseur des droits de l’homme ".
Quant à M. Obama, il a prévu, lui, de rencontrer des représentants de l’opposition russe et des minorités sexuelles pendant son déplacement à Saint-Pétersbourg. M. Poutine a déclaré qu’il pourrait en faire autant si la communauté gay de Russie le souhaitait : " Je vous assure que je travaille avec ces personnes. Je les décore même parfois avec des prix ou des médailles pour leurs réalisations dans divers domaines. On dit que Piotr Tchaïkovski était homosexuel. A la vérité, nous ne l’aimons pas pour cette raison mais parce qu’il était un grand musicien. Nous aimons tous sa musique. Et alors ? "
Le climat augure mal d’une détente sur le dossier syrien. Toutefois, la décision du président Obama de solliciter l’aval du Congrès avant une éventuelle intervention militaire pour répondre au " crime contre l’humanité ", selon l’expression de John Kerry, le secrétaire d’Etat, commis par le régime de Bachar Al-Assad le 21 août, bouscule le calendrier.
Des voix se sont élevées en Europe, dont celle de la chancelière allemande, Angela Merkel, et celle du premier ministre britannique, David Cameron, pour dire que ce report devait être mis à profit pour trouver un compromis de dernière heure. " Nous voulons utiliser la réunion du G20 pour faire tout ce qui est en notre pouvoir afin d’atteindre une position commune de la communauté internationale ", a déclaré, mardi, Mme Merkel.
" Tout le monde est sceptique sur la volonté d’apaisement de Poutine, mais il ne veut pas non plus que le G20 soit un fiasco ", juge Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
La perspective d’un retournement de situation paraît mince. Un influent diplomate français, en contact quotidien avec les Américains, affirme que ni Paris ni Washington ne s’attendent à une initiative de dernière heure de la part de Moscou. " Les Russes ne se sont pas mis en position de médiation ", analyse-t-il. A l’Elysée, on estime que " le report décidé par M. Obama est avant tout lié à des considérations intérieures. Il se positionne comme l’anti-Bush, il ne veut pas être celui qui aura lancé son pays dans une aventure militaire à la légère ".
La rencontre de Saint-Pétersbourg risque donc de se solder par un dialogue de sourds sur la Syrie. " Nous n’anticipons pas de solution miracle sortant du chapeau du G20 ", dit-on au Quai d’Orsay. " Ce n’est pas réaliste d’arriver avec un plan de frappes dans une main et un plan de paix dans l’autre. Et encore plus difficile d’imaginer que l’opposition syrienne soit aujourd’hui prête à s’asseoir à la table des négociations avec Bachar Al-Assad ", poursuit cette source proche du dossier.
Le scénario le plus probable est que Vladimir Poutine se serve de la tribune du G20 pour tenter de briser son isolement et se poser en rassembleur d’un camp anti-occidental. La plupart des grands pays émergents présents au G20, à commencer par la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, sont opposés, par principe, à toute intervention militaire en Syrie, perçue comme une ingérence et une atteinte à leur souveraineté. Le paradoxe de cette position est que l’ingérence a déjà bien lieu, tant le régime de Damas doit sa survie à l’assistance illimitée de la Russie et de l’Iran, ses alliés inconditionnels.
Mais la Russie aurait tort de penser que les autres pays émergents sont prêts à lui accorder un blanc-seing sur la Syrie, loin d’être une priorité stratégique pour eux. " Nous sommes opposés aux frappes en Syrie, mais pas au point de nous aligner inconditionnellement sur Moscou, insiste une source bien informée en Inde. Pour nous, il est aussi vital de préserver nos relations avec les Etats-Unis et la France. "
A l’Elysée, on estime que les pays émergents " n’ont pas envie de chercher l’affrontement sur la Syrie, car ils ont besoin des Occidentaux sur les sujets qui sont au coeur de leurs préoccupations : l’instabilité monétaire, la relance de la croissance et la régulation financière ".
La crise syrienne va focaliser toutes les attentions. Le G20 à peine terminé, les consultations diplomatiques vont se poursuivre lors du conseil européen informel qui réunira, vendredi 6 et samedi 7 septembre à Vilnius, en Lituanie, les 28 ministres des affaires étrangères de l’Union européenne. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry participera à cette rencontre.
L’objectif pour la France sera de rassembler le plus large soutien possible à une intervention en Syrie qui divise les Européens. Le temps presse. Même si toute action militaire est suspendue au vote du Congrès américain qui doit examiner le projet de frappes du président Obama à partir du 9 septembre.