Je vous écris en ma qualité de responsable de la «Direction générale à l’imagination politique de la Commission», souhaitant attirer votre attention sur un problème grave de poussées intempestives d’hormones mâles, qui menace la bonne gouvernance de l’Europe comme du monde. Ce problème a refait surface suite à l’interpellation par la police new-yorkaise du directeur général du FMI et candidat naturel de la gauche à l’élection présidentielle française, M. Dominique Strauss-Kahn. Que les accusations portées contre M. Strauss-Kahn, comme quoi il aurait violé une jeune femme de chambre à son hôtel, soient fondées, ou que le soit la thèse de ses défenseurs qui laissent entendre que les relations sexuelles qu’il aurait eues avec cette jeune femme aient été consenties, voire qu’il y a machination contre lui, ne change rien aux choses puisque, dans tous les cas, oubliant qui il était et ce qu’il représentait, M. Strauss-Kahn se sera (pardonnez-moi l’expression) laissé mener par sa queue.
La question de l’impact désastreux qu’a la libido effrénée de certains hommes politiques sur leur faculté de raisonnement ne date pas d’hier. Sans même remonter jusqu’au roi David qui, pour posséder Bethsabée, ne recula pas devant le meurtre, je vous rappelle que le désir de Marc-Antoine pour Cléopâtre avait coupé l’Empire romain en deux, et que celui de Soliman le Magnifique pour Roxelane le poussa à assassiner celui parmi ses fils qui était le plus qualifié pour lui succéder, marquant ainsi un tournant néfaste dans les fortunes de l’Empire ottoman. L’histoire abonde d’exemples de responsables politiques qui, à l’instar de M. Strauss-Kahn, cédèrent un jour ou l’autre à leurs pulsions sexuelles et sacrifièrent l’intérêt public à la seule satisfaction d’un besoin pressant. Rien à voir, n’est-ce pas, avec la conduite exemplaire d’une Elizabeth 1ère : reine vierge qui, bridant ses désirs, plaça les intérêts de l’Etat par-delà même son bonheur et posa ainsi les fondements durables de la puissance anglaise. Car il faut bien avouer que les femmes sont plus à même que nous les hommes de maîtriser leurs pulsions. Contrairement aussi à nous autres, qui sommes souvent esclaves de notre sexe, elles, savent parfaitement asservir le leur (et même s’en servir !). De ce fait, elles sont bien plus aptes que nous à gouverner. Partant, et dans l’intérêt général, on devrait décréter qu’à l’avenir, seules les femmes seraient habilitées à occuper des fonctions politiques de responsabilité.
Je suis certes conscient que si l’on saisissait le Parlement à Strasbourg d’un tel projet de loi, nous serions immédiatement taxés de discrimination. C’est pourquoi j’aimerais vous proposer de procéder autrement. Avez-vous entendu parler du héros national vietnamien Ly Thuong Kiet ? De l’exarque Narses qui servit l’empereur Justinien ? Du grand commis chinois Gao Lishi sous la dynastie des Tang ? Du Vénitien Gazanfer Aga qui servit successivement trois sultans ottomans ? Non ? Vous devez donc ignorer ce qu’ils avaient en commun : leur qualité d’eunuques. Je dis bien «leur qualité» car, libérés qu’ils étaient de tous leurs désirs et pulsions, ils purent se consacrer entièrement au service de l’Etat, pour le plus grand bien de leurs concitoyens et la gloire de leur souverain.
Imaginez un monde où les hommes politiques seraient tous des eunuques ! Plus d’ego démesuré, plus de harcèlement sexuel, plus de ministres violeurs, plus d’évêques pédophiles, plus de scandales salaces ni de chantages, plus de prises de décision irrationnelles, plus de népotisme (puisque plus de progéniture), plus de dynasties politiques et plus de républiques héréditaires. Dans un monde aussi mal barré que le nôtre, il y aurait enfin à la barre un capitaine pondéré qui raisonnerait calmement et déciderait à froid. Une vraie panacée, croyez-moi : un remède à tous les maux politiques dont nous souffrons.
C’est pourquoi je propose que l’Europe décrète que seuls les hommes qui accepteraient de subir une castration pourront briguer des postes et mandats publics. Mais peut-être pensez-vous qu’aucun homme politique n’accepterait de payer le pouvoir ce prix-là. Eh bien, avant de répondre, sondez votre âme, pensez à tous les privilèges dont vous jouissez, pesez bien le pour et le contre, et rappelez-vous surtout Matthieu, 19:12 : «Il y a des eunuques qui sont nés tels du ventre de leur mère, comme il y a des eunuques qui ont été rendus eunuques par les hommes, mais il y a aussi des eunuques qui se sont rendus eunuques eux-mêmes pour mériter le royaume des cieux.» Si pour certains le royaume des cieux mérite bien une émasculation, qu’elle soit réelle ou symbolique, ne pensez-vous pas que pour nous autres hommes politiques et hauts fonctionnaires, l’exercice du pouvoir vaut largement une petite castration ?
Et maintenant, dites-moi : ma proposition est-elle si absurde que cela, ou puis-je d’ores et déjà rédiger une circulaire demandant qu’on enlève tous les urinoirs de la Commission ? Outre les avantages politiques considérables que je viens de vous citer, pensez à toutes les économies qu’une fusion des toilettes des hommes avec celles des femmes nous ferait faire.
En espérant que cette proposition vous agréera, je vous prie d’accepter, M. le Président, mes salutations distinguées.