Qatar, Arabie… La grande réconciliation?
Elle était très attendue et sans aucun doute ardemment désirée. Cette réconciliation entre d’une part l’Arabie saoudite et les Émirats arabes Unies et d’autre part le Qatar. Elle fut pendant de longs mois la préoccupation politique la plus aiguë de la région. Voilà qui est presque fait. Après une grande brouille qui a failli faire imploser le Conseil de coopération du golfe, un vent de réconciliation souffle sur la région. Les deux frères concurrents du wahhabisme que sont le Qatar et l’Arabie Saoudite donnent cette vague impression d’avoir enterré la hache de guerre. Le lieu: Doha capitale du bouillant Qatar. L’occasion: le sommet annuel du CCG. L’agenda: sceller ce rapprochement entre deux puissances qui se disputent le leadership de toute la région.
Par Mustapha Tossa
A décortiquer les signaux politiques émis par les Qataris, l’impression est solidement installée qu’une page est en train d’être tournée. Moins par conviction ou par adhésion politique que par nécessité stratégique. Les pays du golfe ont senti qu’un danger mortel, incarné par la montée en puissance de Daesh, menace jusqu’à leur propre existence. Le défi qui s’est posé à eux est le suivant: ou rassembler leurs efforts et leurs intelligences pour contrer ce danger ou continuer à agir en ordre dispersé, la meilleure manière de succomber à cette vague de terreur partie d’Irak, mais qui puise ses forces en Syrie tout en affichant ouvertement son ambition, tel un tsunami, de submerger les riches pays du golfe.
Cette réconciliation met à l’épreuve les autorités de Doha. Elles sont désormais dans l’obligation de changer leur choix stratégiques. Cela se verra rapidement dans les rapports qu’elles sont accusées d’entretenir avec des groupes fondamentalistes qui agissent sur les terrains syrien et libyen et dans la campagne médiatique chargée de la vendre et l’argumenter. Les résultats de cette clarification ne se feront pas attendre. L’actualité se chargera vite de la mettre à l’épreuve.
Trois grandes crises vont tester l’esprit de cette réconciliation. D’abord l’Egypte où les nouvelles autorités s’attendent à d’avantage de sollicitation de la part de Doha qui se substituerait à ce travail mécanique de démontage de légitimité. Le Qatar devrait ainsi lâcher ce désir, devenu au fil des mois un fantasme de voir revenir au pourvoir le président Mohammed Morsi. Même si au fond le pouvoir qatari n’y croyait pas une seconde, il s’entêtait à entretenir la flamme de la contestation et le rêve du retour.
La seconde crise est la Syrie. La Qatar et l’Arabie vont devoir appendre à accorder davantage leurs violons. Leurs agendas croisés ont plus fait pour aider Bachar Al Assad à survivre que l’opposition à le battre. Sans parler de cette surenchère stratégique à laquelle les deux puissances régionales se sont livrées et qui a abouti à ce qu’une organisation comme Daesh puisse sortir des entrailles de ce conflit et s’imposer comme une incontournable force. D’ailleurs ni Doha ni Ryad n’ont le choix à ce niveau. La communauté internationale a officiellement décrété la guerre à Daesh, un combat qui ne supporte ni zones d’ombre ni diplomatie grise.
Le troisième Théâtre d’opération où l’ entente entre le Qatar et l’Arabie saoudite va connaître une épreuve de vérité est la Libye. Ces deux pays sont notoirement connus pour sous-traiter leurs affrontements politiques par groupes libyens interposés, de manière si tranchée que malgré les efforts diplomatiques des pays voisins, couplés à ceux de l’ONU, aucune solution politique à l’imbroglio libyen ne pointe à l’horizon. Bien au contraire, Daesh prend ses racines en Libye et ambitionne ouvertement de contrôler les champs pétroliers, les plus riches et les plus gorgés d’Afrique. Le Qatar y est soupçonné de traiter avec bienveillance les radicaux de l’action armée et de la terreur. Quant à l’Arabie saoudite, elle soutient sans faille tous ceux qui promettent de réinstaller de l’ordre et de désarmer les milices et de réunifier le pays menacé par une rampante balkanisation.