Nouria Benghabrit, femme, ministre et bête noire des conservateurs algériens
Universitaire reconnue et nouvelle venue en politique, la ministre algérienne de l’Education Nouria Benghabrit est devenue la femme à abattre pour les conservateurs de tous bords depuis qu’elle a entrepris de réformer un enseignement sinistré.
Tissé d’emprunts au français, à l’espagnol ou au berbère, l’arabe dialectal est parlé à la maison et dans la rue. Pour les enfants, la découverte brusque de l’arabe académique à l’âge de six ans est l’une des raisons de l’échec scolaire, estiment les spécialistes. Mais les conservateurs jugent la forme dialectale impure et symbole d’une forme de néocolonialisme.
Une alliance de partis islamistes ont réclamé le départ de Mme Benghabrit qui a démenti cette semaine des rumeurs de démission colportées par des journaux en ligne.
– ‘Dégage!’ –
Un député d’En-Nahda, Mohammed Hadibi, a publié sur sa page Facebook une photo de la ministre barrée d’une croix avec le slogan "Dégage!". Un autre, Nacer Hamdadouche, l’a accusée d’incarner "une menace réelle pour les valeurs du pays".
"Ce chahut a pour but de bloquer tout processus d’évolution de l’école", a-t-elle rétorqué, peu impressionnée.
"Aucun de ceux qui polémiquent n’est entré dans le débat pour proposer des solutions et comprendre pourquoi dans un environnement arabophone un élève peut avoir des résultats catastrophiques en arabe scolaire", a ajouté Mme Benghabrit. La moyenne des bacheliers algériens en langue arabe a été de 9/20 cette année, selon elle.
La controverse sur l’arabe dialectal n’est qu’un nouvel épisode de la bataille que mènent contre elle les conservateurs depuis son arrivée en mai 2014 dans l’équipe du Premier ministre Abdelmalek Sellal.
Un flot d’injures de la part des milieux islamo-conservateurs s’était alors déversé sur les réseaux sociaux contre cette diplômée de l’université Paris V, spécialiste des questions d’éducation.
Sans appartenance partisane, Mme Benghabrit ne s’attendait pas à devoir mener un combat de rétiaire dans une arène politique dépourvue de règles.
Directrice du centre de Centre de recherches en anthropologie sociale culturelle d’Oran (ouest) de 1992 à 2014, membre du Conseil économique et social des Nations unies, elle semblait dotée de solides atouts pour mener la mission confiée par le président Bouteflika: réformer une école que l’on dit "sinistrée".
Mais elle découvre un champ de mines dans un secteur dominé par ceux qui veulent arrimer l’Algérie soit à l’oumma (communauté des musulmans), soit au panarabisme.
– ‘Lynchage odieux’ –
Née au Maroc et issue d’une famille andalouse établie à Tlemcen (extrême nord-ouest), Mme Benghabrit est d’abord critiquée pour ses prétendues origines juives. Elle est la petite-fille du frère de Kaddour Benghabrit, le premier recteur de la Grande mosquée de Paris, qui y a caché des juifs persécutés par les nazis durant la 2e Guerre mondiale.
Cette francophone peu à l’aise avec l’arabe classique est aussi accusée de penchants francophiles, dans un pays où la guerre d’indépendance contre la France reste la principale source de légitimité du pouvoir.
Depuis fin juillet, des partis politiques, des associations et des dignitaires religieux font bloc contre elle sur l’arabe dialectal. Conservateur tendance nationaliste, un ancien ministre de l’Education, Ali Benmohmed, l’a traitée de "folle". En face, la députée trotskyste Louiza Hanoune, figure emblématique de la scène politique et pionnière du combat féministe, a dénoncé un "lynchage odieux".
Si Mme Benghabrit cristallise autant les tensions c’est parce qu’"être une femme algérienne et scientifique, cela dérange certaines personnes", a confié à l’AFP un de ses proches sous couvert de l’anonymat. "Elle est une femme de combat et cela pose problème à un certain milieu", ajoute-t-il.
Une page Facebook soutenant la ministre sous le slogan "je suis une Algérienne sans complexe" a recueilli des milliers de "like".
"Si Benghabrit tombe (…) cela veut dire qu’il vaut mieux ne pas avoir d’enfants dans ce pays", s’est alarmé dans une chronique l’écrivain-journaliste, Kamel Daoud.