Comment échapper aux enjeux nationaux dans un scrutin local ? Au Havre, Edouard Philippe tente, tant bien que mal, de normaliser sa campagne municipale face à des concurrents pas mécontents de capter la lumière des projecteurs pour faire valoir leurs causes.
S’il n’était pas Premier ministre, personne ne prêterait vraiment attention à ces scènes de la vie ordinaire d’un candidat en quête de réélection: réunions de mobilisation, dépôt de liste en préfecture ou encore passage en tribune du match de football du HAC, tristement battu vendredi soir par la lanterne rouge de Ligue 2 Orléans (2-1).
Samedi matin, en marge d’une visite à l’Association de sauvegarde du patrimoine maritime, dans un hangar où trône la gigantesque enseigne de l’ancien paquebot France, M. Philippe a réfuté toute incompatibilité: il faut séparer le ministre parisien de l’élu havrais.
« Quand je suis au Havre, je fais la campagne du Havre et je parle aux Havrais et aux Havraises de ce que je souhaite faire dans les six années qui viennent pour continuer à transformer la ville. Et puis s’il y a des gens qui veulent me parler de national au Havre, c’est leur choix. Je ne fais pas ça », assure-t-il.
En conférence de presse quelques centaines de mètres plus loin, le candidat du Rassemblement national Frédéric Groussard est pour sa part bien décidé à amalgamer tous les enjeux pour, croit-il, maximiser ses chances.
A ses côtés, le vice-président du parti Jordan Bardella acquiesce et force le trait: le vote sanction s’exercera « non pas seulement contre le (maire) sortant mais aussi contre la politique du gouvernement, incarnée par Edouard Philippe qui est l’avocat de la brutalité sociale (…) et de la guerre du tous contre tous ».
« Plus belle la vie »
Arrivé en tête au Havre aux élections européennes en conduisant la liste RN (22,55 %), M. Bardella lance aussi crânement un appel aux électeurs Les Républicains, « orphelins » après le ralliement de M. Philippe à Emmanuel Macron en 2017. « A ceux-là nous voulons dire: +venez travailler à nos côtés, venez nous rejoindre, nous vous tendons la main+ », ajoute-t-il, lorgnant les bulletins qui ont permis à M. Philippe d’accéder à l’hôtel de ville dès le 1er tour en 2014 sous l’étiquette UMP.
Dans une ville où la contestation contre la réforme des retraites reste relativement forte (2.200 manifestants jeudi) et marquée par des « opérations port mort », quelques affiches siglées CGT et « gilets jaunes » champignonnent, appelant à « voter contre Edouard Philippe pour sauver Le Havre et la France ».
Cependant, le député (PCF) et candidat Jean-Paul Lecocq ne veut pas « commencer à appuyer sur ce bouton, même si les gens m’en parlent ».
« Si on commence à nationaliser la campagne, on ne parlera plus des Havrais. On parlera de la réforme des retraites et plus des quartiers », ajoute-t-il, pestant contre « les questions des journalistes qui nous demandent sans cesse de raconter le +Plus belle la vie+ de la campagne d’Edouard Philippe ».
M. Lecocq épingle aussi la campagne « start-up » de M. Philippe, qui dévoilera son programme le 5 mars, à dix jours seulement du 1er tour. Or, sans vision sur ses propositions, comment instaurer un débat purement local ?
« Mon programme pour 2020-2026 est assez largement contenu dans ce que j’avais engagé depuis 2014 », répond l’intéressé, en plaidant pour la « continuité ». Interrogé sur ses intentions en matière d’écologie, il évoque ainsi « l’électrification des quais » pour les paquebots, afin qu’ils coupent leurs moteurs, la construction d’une nouvelle ligne de tramway, le développement de « la mobilité électrique »….
Mais « le programme d’Edouard Philippe, c’est Edouard Philippe lui-même », assène en retour M. Lecocq.