Malaisie : une avancée pour l’islam et pour les femmes
Kuala Lumpur − Début juillet de cette année, Najib Razak, Premier ministre de la Malaisie annonçait la nomination de deux femmes à un poste de juge auprès des tribunaux de la charia (syariah), ou tribunaux islamiques fédéraux. Les tribunaux islamiques, qui constituent l’une des deux branches de l’appareil judiciaire du pays, sont compétents pour toutes les matières relevant de la charia, c’est-à-dire des principes islamiques.
Les lois civiles de la Malaisie relèvent du gouvernement fédéral. Mais la Constitution fédérale accorde aux 13 États du pays une compétence dans deux domaines : le foncier et les lois applicables aux « personnes professant la foi islamique », ce qui signifie les questions relevant du droit de la famille comme le mariage, le divorce, la tutelle et l’héritage. Les tribunaux de la charia n’ont pas compétence pour ce qui est des non-musulmans, tandis que toutes les questions relatives à la pratique de l’islam ne passent pas devant les tribunaux civils.
Voici un certain temps que le gouvernement parle d’une réforme de la justice. Alors que les deux nominations féminines remontent seulement au mois dernier, la décision avait en fait été prise en 2006 déjà. Les deux femmes, il est vrai, ont été affectées dans des tribunaux de district fédéraux, mais l’innovation est importante dans la mesure où elle peut être suivie par les États à leur niveau.
Hélas, il fallut rapidement déchanter. Quinze jours à peine après l’annonce de ces nominations en juillet, une commission de 20 juges de la charia, tous des hommes, se réunissait pour définir les affaires que pouvaient connaître leurs deux consœurs.
Un magistrat du Tribunal d’appel islamique, Datuk Md Yusup Che The, affirma en effet que la décision devait être reconsidérée, car certaines affaires ne peuvent être jugées par des présidentes de tribunal, notamment les affaires de divorce et les affaires relevant du wali hakim, c’est-à-dire le magistrat des tutelles, qui a compétence en matière matrimoniale et qui est forcément un homme.
Le problème est que c’est surtout dans les affaires de divorce que de nombreuses Malaisiennes sont victimes d’injustices, que ce soit en matière de garde ou de partage. De plus, les affaires faisant entrer en jeu les tuteurs ne concernent naturellement que les femmes qui, par exemple, n’ont pas le droit de se marier sans le consentement d’un tuteur. Dans la plupart des cas, le tuteur est le propre père de la mariée, mais lorsque le père n’est pas disponible, ni aucun autre homme de la famille, le tribunal doit nommer un wali hakim, ou magistrat de tutelle, ce qui peut retarder la célébration.
Les mouvements féministes se réjouissaient que la nomination de juges femmes permette à celles-ci de présider dans des affaires où les femmes estiment aujourd’hui être traitées inéquitablement. Il est en effet permis d’espérer qu’une juge manifeste plus d’équité lors du partage des biens dans les cas de divorce ou de tutelle et plus de célérité dans la désignation d’un tuteur pour suppléer au père biologique.
« Ces nominations ont été faites pour revaloriser la justice dans les affaires relatives à la famille et aux droits des femmes et pour répondre aux besoins de notre époque », a déclaré le chef du gouvernement, M. Razak. Alors que la mesure semblait avoir inquiété les juges les plus conservateurs des tribunaux islamiques, les craintes des associations de femmes ne se sont pas avérées : à la fin juillet, une commission spéciale décrétait que les juges femmes ont les mêmes compétences que les hommes.
Il convient d’observer que le Coran enjoint aux juges de recourir à leur sagacité lorsqu’ils rendent la justice, Allah recommandant « (…) quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité » (s. 4, v. 58). Le verset souligne l’aspect justice sans préciser si le juge doit être homme ou femme. Il n’y a donc pas d’obstacle à ce que des femmes siègent dans les tribunaux de la charia, comme elles peuvent le faire depuis longtemps au civil.
Par Marina Mahathir*
* Fille du quatrième Premier ministre de la Malaisie, Marina Mahathir, journaliste et chroniqueuse distinguée, militante des droits de la femme, est membre du conseil d’administration de Sisters in Islam et expert mondial des Nations unies (www.globalexpertfinder.org ).