Le Roi et le salafiste
L’image a fait le tour des médias et des réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Celle montrant le Roi Mohammed VI devisant tranquillement avec un des ex-cheikhs salafistes le plus médiatiques du Maroc, Mohamed Fizazi. La photo a eu lieu après la prière de Vendredi dans la mosquée Tarek Ibn Zyad. L’Imam Fizazi venait de prononcer le prêche de vendredi, la prière collective la symbolique et la plus importante de la semaine, dans laquelle il avait mis en valeur l’importance de la sécurité et de la stabilité pour exercer sa foi.
Par Mustapha Tossa
A la suite des attentats de mai 2003 qui ont frappé le cœur de Casablanca et dans laquelle douze kamikazes et 33 personnes ont trouvé la mort, Mohamed Fizazi, considéré à l’époque comme le parrain idéologique d’une telle monstruosité fut condamné à 30 années de prison avant d’être gracié par le Roi en 2011 après s’être ouvertement repenti.
Mohamed Fizazi, l’imam à la réputation sulfureuse, a retrouvé une sorte de normalité. Il est vrai qu’entre temps, il s’était fait remarqué par une position qui avait fustigé les auteurs de l’attentat contre le café Argana à Marrakech en avril 2011. Fizazi avait qualifié cet attentat comme "un acte de folie perpétré par des personnes qui ne croient à aucune religion". Ce qui fut considéré à l’époque comme une volonté manifeste de ne plus accorder à la monstruosité terroriste la moindre justification ou couverture religieuse.
En permettant à un homme comme Fizazi de prononcer des prêches dans les mosquées du Royaume, de s’exprimer publiquement et solennellement, le Roi Mohammed VI use d’un acte d’une grande symbolique politique. La démarche surprend par son audace et son pari. Celui de tenter, avec un succès évident de réintégrer en la déréalisant la mouvance salafiste dans le champs religieux et de lui permettre de participer à l’expression et à la fabrication du corpus religieux national, le tout dans un cadre réglementé, protégé des dérives de la marge et de la surenchère religieuse avec des agendas obscurs.
Cette démarche unique dans l’espace arabo-islamique semble motivée par une volonté de réduire les espaces de radicalisation et par conséquent des discours religieux qui les embrasent. La stratégie marocaine semble partir d’un constat que l’extrémisme religieux se développe dans un cadre anarchique, sans repères, où la norme est bousculée, instrumentalisée au profit d’agendas et d’ambitions personnels.
De par son rôle de Commandeur des croyants, le Roi Mohammed VI crée avec cette démarche une expérience unique dans le domaine de la gestion du discours religieux. L’enjeu est de normaliser en vue d’assécher toutes les sources productrices de radicalité.
Rationnelle, réaliste, le modèle de l’islam marocain qui commence déjà à s’exporter en Afrique et dans le monde arabe, fait preuve d’une grande capacité intégratrice de tous les acteurs qui participent à la confection du discours religieux. Ceux qui veulent intervenir dans ce champ doivent le faire dans un périmètre qui respecte les fondamentaux du vivre ensemble national.
La thématique, sur laquelle un homme au parcours et à l’itinéraire de Mohamed Fizazi a choisi de faire son prêche, à savoir sécurité, stabilité et foi, résume à elle seule les grandes préoccupations du moment. La finalité étant de trouver les meilleures postures pour désamorcer les antagonismes dans un domaine où la prise de parole publique est extrêmement sensible. Le Roi Mohamed VI met en valeur une méthode qui consiste à intégrer pour mieux inspirer les valeurs de l’islam de la modération et du juste milieu. Elle présente l’avantage politique d’éteindre les agressivités inutiles et de participer à construire les digues politiques et religieuses qui empêchent le recours à la violence et à la déconstruction du vivre ensemble.
En faisant ces choix audacieux, le Roi Mohammed VI incarne l’exception marocaine qui, non seulement force l’admiration à l’internationale, mais impose le Maroc et son expérience dans le domaine comme un
modèle à imiter et à suivre.