Le 11-Septembre à New York : témoignage d’un reporter de l’AFP

Le journaliste Michel Moutot faisait partie de l’équipe de l’AFP à New York, le 11 septembre 2001. Voici son témoignage sur cette journée historique.

A 08H40, ce 11 septembre 2001. Belle matinée d’été indien sur New York. J’allume la télé : le logo bleu et blanc de la chaîne d’info en continu New York One. "On nous signale un incendie en hauteur dans l’une des tours du World Trade Center", annonce le présentateur.

Sur la foi des images (nous n’avons pas de vue directe du bureau sur les tours jumelles), je commence à rédiger une dépêche. Titre : "Incendie au sommet de l’une des tours du World Trade Center". Le trou béant provoqué par le Boeing dans la façade est caché par la fumée.

Sur le fil AFP, à 08h58, l’histoire change brutalement: "Un avion s’est écrasé mardi matin au sommet de l’une des tours du World Trade Center à New York, ont indiqué les chaînes de télévision américaines".

Un avion de ligne ? Je pense à "l’opération Bojinka", un complot monté en 1995 par des islamistes radicaux qui avaient imaginé détourner des avions de ligne au-dessus du Pacifique pour les fracasser contre des bâtiments…

09h03 : en direct sur CNN, le vol 175 de la United Airlines s’encastre dans la tour nord. Nouvelle dépêche urgente.

La journée va être longue, la nuit aussi. Nos correspondants à l’ONU, Michel Leclercq et Robert Holloway, sautent dans le dernier métro avant l’arrêt du trafic pour le sud de Manhattan. Les yeux rivés à la télé, j’enchaîne les dépêches

– ‘Bombardez le Moyen-Orient’ –

Une minute avant 10h00, après avoir brûlé pendant 56 minutes, la tour sud vacille puis s’effondre sur elle-même, laissant dans le ciel son fantôme de poussière. Ahurissant. Vingt-neuf minutes plus tard, la tour nord disparait à son tour. A 09h37, un autre avion de ligne s’écrase sur le Pentagone à Washington.

Combien d’appareils détournés sont encore dans le ciel ? Combien de cibles ? La Maison Blanche ? Le Congrès ? Le projet Bojinka envisageait le détournement de onze avions de ligne…

A Manhattan, la circulation cesse ou presque. Obéissant aux consignes, la population du sud remonte vers le nord. Une foule silencieuse, hébétée, parfois recouverte d’une épaisse couche de poussière grise.

Le réseau cellulaire est saturé, plus moyen de joindre Robert, Michel ou notre photographe Stan Honda. Leurs épouses appellent régulièrement, je ne sais que leur dire, incapable de leur assurer que, non, ils n’étaient pas à l’intérieur des tours quand elles se sont effondrées. Ils mettront plusieurs heures à remonter, à pied eux aussi, jusqu’à la 46e rue et le bureau de l’AFP, où nous les accueillons en héros.

Je prends la relève sur le terrain. Seuls quelques véhicules de pompiers ou de police, sirènes hurlantes, descendent la Troisième Avenue. Les trottoirs sont bondés de piétons. Je gare ma moto sur Canal street, continue à pied.

Dans un silence de cathédrale, qu’on ne connait à New York que les jours de tempête de neige, je marche vers le nuage noir, les reflets d’incendie, qu’on devine là, au-dessus des toits. Ce n’est pas de la neige qui s’accumule sur la chaussée et les trottoirs mais une étrange matière, un mélange de cendres, de poussière et de feuilles de papier.

Au coin des rues Greenwich et Harrison, la couche s’épaissit, recouvre tout. La rue, les voitures, les panneaux, les boîtes aux lettres, bouches d’incendie, poubelles, feux rouges, échafaudages, un chien qui devait être brun et s’ébroue sans succès, tout disparaît sous quinze centimètres de talc grisâtre, d’où émergent des millions de feuilles. Ce "manteau" étouffe les sons, les pas. Partout des chaussures, surtout de femmes, hauts talons abandonnés pour courir plus vite. Sur un pare-brise, un doigt a écrit dans la poussière "Bombardez le Moyen-Orient !"

– Le plein d’images –

Au centre de Barclay Street, un agent de police transformé en spectre blafard avance à pas minuscules. Il regarde devant lui mais semble ne plus rien voir, les épaules tombantes, le pas traînant, bouche ouverte, mains le long du corps. L’étui de son arme est vide, sa matraque pend à l’envers dans son dos. Il s’assied, enlève sa casquette qu’il tape contre sa cuisse, éclate en sanglots.

Les éclairages d’urgence illuminent par en-dessous d’immenses colonnes de fumée. Des flammes s’échappent de l’enchevêtrement de métal, poutres tordues, pans de murs effondrés, structures broyées, monceaux de gravats. Ça fait quelle hauteur ? Je compte les étages d’un immeuble adjacent, étrangement intact. Cent-dix étages compactés sur six. Les feux sortent de partout. Les jets d’eau géants des pompiers tombent en pluie. Un camion rouge a été aplati, transformé en crêpe de métal de quatre-vingt-dix centimètres d’épaisseur. Des voitures de police ont comme fondu.

Faire le plein d’images, de sensations. Quelques phrases, un geste, une odeur, une scène, un mot. Le papier se met en place dans ma tête, s’écrit presque tout seul. Simple, faire simple. L’histoire est tellement énorme, au-delà de tout, nul besoin d’en rajouter.

Il est temps de rentrer au bureau. Ambiance grave, tendue, mes amis et collègues sont soulagés de me voir arriver. Inutile de relire mes notes. "Blessée, bouleversée, hébétée, New York s’apprête à vivre mardi soir, au terme d’une journée d’épouvante, la pire nuit de son histoire".

(Source AFP)

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