L’Algérie a rompu ses relations par « amertume devant les réussites » du Maroc (L’Express)

« Comment expliquer la rupture des liens diplomatiques avec Rabat, sinon par l’amertume algérienne devant la réussite de son voisin ? », annonce d’emblée Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po Paris, notant que que cette amertume récurrente d’Alger provient de l’échec d’un régime ayant adopté quantité de mauvais choix.

Sous le titre « Derrière la brouille avec le Maroc, les mauvais choix d’Alger », l’auteur de « L’Atlas des frontières », fondateur des Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer, écrit dans sa chronique, parue dans L’Express que le Maroc et l’Algérie entretiennent de lourds contentieux. « Mais, à bien y regarder, reproches et revendications proviennent surtout d’Alger qui, en 2021, a fermé unilatéralement sa frontière et rompu des relations diplomatiques avec Rabat. Une rancoeur qui se nourrit aux réalités et représentations suivantes » .

D’abord, relève-t-il, « il y a cette condescendance pour un régime représenté comme archaïque car monarchique, faible de ne pas s’être décolonisé par la guerre. Et pour cause : la dynastie chérifienne a réussi l’exploit – quasi unique dans l’immense espace arabe – de demeurer indépendante face à l’Empire turc ottoman comme devant les puissances européennes, incarnant (un demi-siècle seulement) un simple protectorat jusqu’au retour à la pleine souveraineté dès 1956 ».

« Cette posture à la fois « viriliste » et victimaire du régime d’Alger permet à la caste des généraux, au pouvoir presque sans discontinuer depuis l’indépendance, d’autolégitimer sa propre férule et la répression de toute contestation », constate Frédéric Encel.

Ensuite, poursuit-il, « bien qu’officiellement non alignée, l’Algérie a toujours suivi Moscou (et acheté russe) jusqu’à et y compris après la chute du communisme, se revendiquant du nationalisme arabe et du tiers-mondisme – a contrario du Maroc, qui a diversifié ses partenariats et maintenu d’étroits liens avec la France et les Etats-Unis ».

Or, depuis la signature en 2020 par Rabat des accords d’Abraham (aux côtés des Emirats arabes unis, de Bahreïn et du Soudan) « qui impliquent paix et coopération avec Israël, « l’entité sioniste » honnie par Alger devient à son tour un partenaire privilégié du Maroc, comme l’a récemment illustré la visite officielle du ministre hébreu de la défense (et ancien chef d’état-major de Tsahal) Benny Gantz ».

« Enfin, le choix opéré par Mohammed VI de reconnaître non plus seulement symboliquement, mais aussi constitutionnellement une triple culture – arabe, berbère et juive – exaspère le pouvoir algérien. Arc-bouté sur un narratif strictement étato-national et arabe, celui-ci n’a jamais réglé socialement ni culturellement sa propre question berbère, et craint un nouveau printemps kabyle d’une ampleur inégalée », note-il.

« Enfin et peut-être surtout, en termes géostratégiques, l’Algérie verrait d’un bon oeil une « bi-océanité », autrement dit un accès privilégié à l’Atlantique via un Etat sahraoui qui lui serait redevable, sinon inféodé, tant elle aurait soutenu ses promoteurs », souligne Frédéric Encel, estimant que le solide contrôle du Maroc sur son Sahara  interdit évidemment cette perspective.

« Plus prosaïquement, l’amertume récurrente d’Alger ne provient-elle pas de l’échec d’un régime ayant adopté quantité de mauvais choix ? », s’interroge-t-il.

Et d’explique: « le rejet de l’apprentissage du français après l’indépendance, qui a affaibli les capacités commerciales et l’aura diplomatique du pays – les professeurs d’arabe « importés » d’Egypte ayant ramené avec eux le fanatisme des Frères musulmans en contribuant à la terrible guerre civile de la décennie 1990 ; un système économique rentier, dirigiste et corseté par le FLN et l’armée qui a plombé un pays pourtant riche en hydrocarbures, dont les retombées n’ont jamais bénéficié à la population – d’où la récurrence et la force des mobilisations sociales jusqu’au récent Hirak ; le jusqu’au-boutisme dans le soutien politico-militaire aux militants sahraouis et dans l’intransigeance inopérante sur le conflit israélo-palestinien, qui isole un peu plus diplomatiquement un Etat déjà entouré à l’est et au sud d’Etats faillis… ».

« D’autant qu’en face, sans ressource naturelle commercialisable (sauf les peu lucratifs phosphates), le Maroc a progressé en deux décennies, sur les plans aussi bien de la diplomatie, des infrastructures ou du commerce, en Afrique subsaharienne francophone notamment, s’offrant le luxe d’une chute sans violences du courant islamiste aux dernières législatives », constate-t-il.

« Au fond, si le Maroc est le commode bouc émissaire de cet entêtement dans l’échec du régime d’Alger, c’est bien le peuple algérien qui en est, hélas, la victime », déplore Frédéric Encel.

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