L’Entente subitement cordiale entre Poutine et Sissi
Même les observateurs les plus aiguisés n’ont osé imaginer un tel scénario. Une délégation russe de haut niveau se pavanant sur le territoire égyptien, jadis politiquement acquis aux Américains. C’est la fruit d’une mauvaise entente entre le nouveau pouvoir égyptien et l’administration Obama. L’impression est solidement installée que le nouvel homme fort du régime égyptien est en train d’utiliser le canal russe pour transmette sa mauvaise humeur.
L’Egypte de Hosni Moubarak ou de l’islamiste Mohamed Morsi, pour ne citer que les derniers présidents, a toujours fait partie du pré-carré américain. Une alliance politique et stratégique entre Washington et le Caire, huilée annuellement par une substantielle aide financière, faisait partie de ces axes solides qui configurent les rapports de forces de l’ensemble de la région.
Mais cette intimité allait voler en éclat lorsque le général Sissi a pris le pouvoir à travers un coup de force que l’administration Obama avait peiné à définir. Tous les ingrédients d’un coup d’état militaire sans en avoir la dénomination. Et sans le condamner ouvertement, Washington a demandé au nouveau pouvoir de ne pas abuser de la force et de revenir au plus vite au processus politique.
Au lieu de cela, le général Sissi décapite la direction des Frères musulmans et traduit en justice ses principaux leaders et se livre à un tour de vis sécuritaire qui rappelle les années de plombs égyptiennes. Washington met à exécution ses menaces et gèle une partie de sa précieuse aide financière à l’Egypte.
Cette posture est apparue au nouveau pourvoir égyptien comme une collusion entre Américains et Frères musulmans. Un froid glacial marque la relation entre les deux pays. L’ouverture vers les Russes, inédite depuis presque quarante ans, vise à adresser un message ostentatoire de déception et de mauvaise humeur. Même l’hypothèse d’un contrat d’armement avec les Russie, une sorte de révolution culturelle en Egypte, est évoquée.
Vladimir Poutine, grand vainqueur de l’actuel jeu proche-oriental avec son compromis sur la Syrie et celui à venir sur le nucléaire iranien, marque le retour de la Russie et de son influence dans la région. De l’autre côté , le général Abdelfatah al Sissi cherche à se construire une posture d’indépendance vis-à-vis du grand allié américain, porté il est vrai par une opinion égyptienne qui s’interroge sur la vraie finalité de la politique américaine. Une démarche qui rappelle étrangement celle que Nasser avait empruntée au lendemain de la crise de Suez.
L’apparente dégradation des relations entre Washington et Le Caire s’est développée en parallèle d’une autre crise de confiance aussi aiguë entre l’administration Obama et un des ses plus proches alliés de la région, l’Arabie Saoudite. Ce qui donne cette vague impression qu’une époque est en train de se terminer et qu’un autre, encore floue et incertaine, est en train de naître.
Aujourd’hui bien entendu se pose la question de savoir si ces retrouvailles entre Russes et Egyptiens vont s’inscrire dans la durée, préfigurer une nouvelle ère ou s’il s’agit de la part du Caire d’un simple saute d’humeur destinée à traduire une expression de dépit passager. Aussi se pose la question de prospecter la réaction de la diplomatie américaine face à ce défi que lui lance un des ses obligés. L’administration Obama se trouve entre deux possibles choix. Durcir son attitude à l’égard du nouveau pouvoir égyptien pour le contraindre à davantage de concession et empêcher l’Egypte de retomber dans ses tropismes militaires. Ou arrondir son discours pour tenter de rassurer et re- séduire un allié dont elle ne peut se passer pour déployer l’ensemble de son influence dans la région.
Il est vrai que l’administration Obama dispose d’arguments sonnants et trébuchants. Mais ce dont à besoin aujourd’hui le général Sissi pour pouvoir aborder la prochaine séquence politique en toute quiétude, c’est d’une bénédiction américaine qui enterre définitivement la parenthèse Morsi et donne au nouveau pouvoir au Caire ses lettres de crédits.