L’élection de Friedrich Merz, 69 ans, n’est pourtant pas une surprise. Figure de premier plan de la scène politique allemande depuis les années 2000, cet avocat d’affaires a gravi les échelons au sein de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), l’un des partis les plus influents du pays, qu’il préside depuis 2022.
Dès lors, l’enfant de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l’ouest de l’Allemagne, n’a plus caché ses ambitions de devenir l’homme fort du pays. En dépit de l’image clivante qu’il cultive, il cristallise les espoirs de renouveau dans une Allemagne fragilisée par une crise profonde de son modèle industriel et un changement géopolitique bouleversant.
Politicien chevronné, Merz a débuté sa carrière en 1972 au sein de la “Junge Union”, la branche jeunesse de la CDU, avant de siéger au Parlement européen de 1989 à 1994, puis au Bundestag de 1994 à 2009, représentant la circonscription du Haut-Sauerland, où se trouve Brilon, sa ville natale.
La carrière politique de Friedrich Merz n’a pas été de tout repos, constamment confrontée à des obstacles, y compris à des défections au sein même de son propre camp. Cette adversité s’est notamment illustrée dans sa rivalité notoire avec Angela Merkel, alors présidente de la CDU, qui a dirigé l’Allemagne pendant seize ans, de 2005 à 2021.
Président du groupe parlementaire CDU/CSU de 2000 à 2002, Merz a progressivement perdu de l’influence au sein du parti, écarté par Merkel dans le cadre de luttes internes, ce qui l’a poussé à quitter la vie politique en 2009.
La presse allemande rapporte qu’il a vécu son éviction du poste de chef de l’opposition comme un échec personnel et une humiliation infligée par celle que les Allemands appelaient affectueusement Mutti (maman).
S’ouvre alors une parenthèse de douze années d’auto-exil politique, loin d’être vaine pour Merz, puisqu’il y amasse une fortune personnelle en occupant des postes à hautes responsabilités dans le secteur privé, notamment chez BlackRock, Commerzbank et HSBC.
Son statut de millionnaire dérange ses détracteurs, qui le perçoivent comme un bourgeois déconnecté. Mais Merz l’assume et défend une vision résolument libérale pour relancer une économie allemande en berne, marquée par deux années consécutives de récession (-0,3% en 2023, -0,2% en 2024). Première mesure choc : au cours des négociations de coalition avec le Parti social-démocrate (SPD), Merz a obtenu la levée du verrou budgétaire et fait adopter au Bundestag un plan d’investissements massif de plus de 500 milliards d’euros pour la modernisation du pays.
Ce bazooka d’investissements, destiné à répondre aux impératifs de sécurité nationale et de compétitivité économique, a conduit à la réforme, en mars 2025, du “frein à l’endettement”, une règle inscrite dans la Constitution allemande depuis 2009, limitant le déficit public à 0,35% du PIB.
Avec la défense comme priorité absolue, Merz prône le “quoi qu’il en coûte” en excluant du calcul du déficit public les dépenses dépassant 1% du PIB, et prévoit de doper le budget de l’armée de 100 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense de l’Allemagne et de l’Europe.
Dans un contexte d’incertitude transatlantique et de volonté de réduire la dépendance envers Washington en matière de sécurité, Merz, pro-européen convaincu et partisan d’un soutien franc à l’Ukraine, alerte sur l’impératif de “se lever ou sortir de l’Histoire” et promet à l’Allemagne un “leadership plus fort” au sein de l’Europe.
Merz a fait du durcissement de la politique migratoire son autre cheval de bataille, comme pour marquer une rupture avec l’ère Merkel et la politique d’ouverture de 2015. Se présentant comme le “chancelier de tous les Allemands”, il entend contenir une extrême droite en pleine ascension, désormais deuxième force politique du pays, dont il dit vouloir “regagner la confiance”.
Conservateur sur les questions sociales, Merz se montre en revanche libéral dans son projet économique, guidé avant tout par son ambition de redonner des couleurs à la compétitivité de l’Allemagne sur la scène internationale, ternie par la concurrence des autres puissances industrialisées.
Inspiré par son expérience dans le monde des affaires, il plaide en faveur d’un marché plus dynamique et propose de nombreuses idées pour mener à bien son projet économique : réduction de la bureaucratie, baisses d’impôts, diminution des allocations chômage et allongement de la vie active.
Sa nomination de plusieurs personnalités issues du secteur privé à des postes clés du gouvernement illustre cette orientation, à l’image de Karsten Wildberger, président du directoire de deux géants européens de la distribution d’électronique, nommé au ministère nouvellement créé de la Numérisation et de la Modernisation de l’État, ou de Katherina Reiche, ex-dirigeante d’un grand groupe, nommée au département de l’Économie.
Bien que Friedrich Merz n’ait pas été élu chancelier dès le premier tour du vote au Bundestag, son pragmatisme, la clarté de ses idées et ses positions assumées nourrissent l’espoir, selon les observateurs, qu’il incarne l’homme providentiel d’une Allemagne à la croisée des chemins.
Sa fermeté sur les questions de sécurité et d’immigration pourrait, en revanche, faire peser un risque sur l’unité de son propre camp et sur la cohésion politique du pays où l’extrême droite gagne insidieusement du terrain.