Dassault affole «le Parisien» (Libération)

Presse . Courtisé de toutes parts, le quotidien redoute un rachat par le proprio du «Figaro».

La vente du Monde à peine bouclée (1), un autre quotidien, celui-là à double tête, régionale et nationale, se retrouve à l’encan. Le Parisien/Aujourd’hui en France, propriété du groupe Amaury, cherche repreneur. Au moins officiellement depuis la fin juin. Depuis, les hypothèses les plus diverses ont circulé, sur les acquéreurs éventuels, les raisons de la cession ou la largeur de la fourchette de prix (Marie-Odile Amaury chiffre le Parisien à 200 millions d’euros, prix proche de son chiffre d’affaires). Comme pour la recapitalisation du quotidien du soir, dans laquelle le chef de l’Etat avait mis un grain de sel finalement contre-productif, la vente du Parisien a pris une tournure politique. Parmi la poignée de noms cités ces dernières semaines se trouvent ainsi deux proches de Nicolas Sarkozy. Vincent Bolloré serait sur les rangs, et Serge Dassault, déjà propriétaire du Figaro, regarde le dossier de très très près.

«Morts». Les cordonniers étant les plus mal chaussés, la rédaction du Parisien suit dans la presse les péripéties de son propre sort. «Cela a une influence sur le moral mais pas sur le travail», tient à préciser un rédacteur. «Nous n’avons aucune information officielle, à part une confirmation de la direction générale sur un mandat donné à la banque Rothschild pour la vente du journal ou la prise de participation extérieure de son capital», explique un membre de la Société des journalistes (SDJ). Au dernier comité d’entreprise, on leur a dit qu’ils en sauraient plus «à la Toussaint». «Le jour des morts !» rit jaune un journaliste. L’annonce de l’intérêt de Dassault a plus qu’échaudé. La SDJ a tenu à rappeler les principes d’indépendance du journal en affirmant que «le titre ne peut être au service d’un homme, d’un clan, d’une entreprise ou d’un parti politique».

Car Dassault cumule les défauts : industriel, propriétaire du Figaro et, qui plus est, sénateur UMP, élu local dans une banlieue couverte par l’édition de l’Essonne du Parisien. Comme un repoussoir, on commente en frémissant le devenir du Républicain de l’Essonne, hebdomadaire tombé en 2001 dans l’escarcelle de l’avionneur. «Il en a fait son organe de communication, critique un journaliste. Des photos de lui sur plusieurs colonnes, une pleine page sur les ronds-points décorés à Corbeil-Essonnes, c’est parfois too much.» On rappelle qu’avec sa liberté éditoriale, le Parisien écrit des choses qui ne plaisent pas à Dassault, notamment sur des perquisitions en mairie. «Notre journal se veut apolitique, n’a pas d’éditorial ni de libre opinion et a un lectorat transversal», précise un salarié.

«Manœuvre». La barque déjà chargée s’alourdit si l’on rajoute des éléments conjoncturels, comme l’intérêt de détenir un journal populaire à l’horizon de l’échéance présidentielle et l’annonce de l’achat de onze Rafale par l’Etat pour compenser l’absence de commandes. «L’armée de l’air va acheter des Rafale à Dassault, et c’est peut-être les contribuables français qui vont participer indirectement au rachat du Parisien, si Dassault l’acquiert…» dit Patrick Bloche, secrétaire national du PS chargé des médias, rapporteur d’une proposition de loi, fin 2009, «visant à couper ce lien indécent entre groupes industriels dépendants de commandes de l’Etat et les médias». Cinq députés villepinistes ont annoncé de leur côté le dépôt d’une proposition de loi pour limiter la concentration dans les entreprises de presse. «La manœuvre est de diviser le Parisien en deux journaux, estime Jacques Le Guen, député UMP du Finistère. Nous souhaitons rendre plus coercitif le texte de 1986.» La loi anticoncentration du 1er août 1986, conçue sur mesure par le gouvernement Chirac pour favoriser la Socpresse, interdit à un groupe de posséder plus de 30% de la diffusion totale de la presse quotidienne d’information politique et générale. Autant dire impossible. Le Figaro a diffusé en 2009 en moyenne 315 000 exemplaires (France payée) et le Parisien près de 305 000 exemplaires auxquels s’ajoutent les 177 000 d’Aujourd’hui en France, soit 12%. «L’intérêt de Dassault paraît logique. Partout en Europe, on est entré dans une logique de consolidation vu l’économie déclinante des quotidiens», estime Jean-Clément Texier, consultant indépendant.

«Il n’existe pas d’impossibilité légale, maintient Rudi Roussillon, porte-parole de Dassault. Nous n’avons pas encore fait d’offre, nous n’avons pas d’échéancier, et nous avons encore reçu lundi du vendeur une seconde vague d’éléments économiques et financiers à analyser.»

Mercredi, le fonds d’investissement Fondations Capital a annoncé s’être associé au groupe belge Rossel (le Soir, la Voix du Nord) pour bâtir une offre d’achat. «C’est une entreprise qui a des forces dont respecterons l’indépendance : le lectorat, le nom, un secteur numérique actif et de la place pour l’innovation», explique Xavier Marin, président de Fondations Capital, qui prendrait une part majoritaire par rapport à Rossel.

Au Parisien, on se demande depuis quand Marie-Odile Amaury s’est mis en tête de céder ce qui fut un temps considéré comme le joyau du groupe. Depuis qu’elle a choisi d’investir dans les paris sportifs ? Depuis la récente crise interne déclenchée par un plan social finalement repoussé ? Pour assurer sa succession ? Est-ce pour cela que l’équipe Amaury a quitté les locaux du Parisien pour ceux de l’Equipe ? Une certitude : «On va vivre la fin d’une ère, soupire un journaliste. C elle d’un quotidien appartenant à un groupe de presse indépendant.»

(1) L’Autorité de la concurrence a annoncé hier autoriser sans réserve le rachat du groupe le Monde par le trio d’hommes d’affaires Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse.

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