Attentats de Catalogne: questions sur la figure floue de l’imam

Le rôle du Marocain Abdelbaki Es Satty dans les attentats de Catalogne suscite des questions sur la figure de l’imam en Europe, parfois difficile à cerner. Quelle est cette fonction ? Comment est-il formé ? Renforcer son statut permettrait-il de mieux lutter contre les discours de haine ?

Beaucoup de zones d’ombre entourent le parcours et les activités de ce Marocain de 44 ans, soupçonné d’avoir endoctriné les auteurs des attaques à Barcelone et Cambrils les 17 et 18 août (15 morts). Il a été tué le 16 août dans la violente explosion de la maison d’Alcanar où la cellule de jihadistes est soupçonnée d’avoir préparé des attentats de grande ampleur.

Qu’est-ce qu’un imam ?

Littéralement, c’est celui qui "est devant" et donc dirige la prière collective. L’imam n’est pas toujours – mais souvent – celui qui dirige le prêche du vendredi en chaire: on le dit alors "khatib", ou prédicateur.

Il est généralement bien plus que cela: "On attend de l’imam qu’il maîtrise tout au moins une partie déterminante du Coran, qu’il ait au minimum de solides notions en matière d’exégèse et de fiqh (jurisprudence) ainsi que de rhétorique, de psychologie et de sociologie du milieu dans lequel il officie", écrit Tareq Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux, dans son livre "Profession imam".

Problème: "Ce n’est pas une profession protégée dans laquelle il faut avoir rempli un cursus", note l’islamologue belge Michaël Privot. Et certains imams ou prédicateurs, à l’influence tous azimuts (médiation familiale, conseil conjugal, enseignement…), ne le sont que parce qu’ils se proclament comme tels.

Abdelbaki Es Satty était-il un imam autoproclamé ? Ce repris de justice, qui avait fait de la prison pour trafic de drogue de 2010 à 2014, prêchait à la mosquée de Ripoll (nord de la Catalogne), où il était arrivé en 2015, sans s’éloigner du Coran, selon les fidèles de cette petite ville. L’enquête lui attribue cependant un rôle d’endoctrinement des jeunes de la cellule jihadiste.

L’homme avait aussi séjourné de janvier à mars 2016 à Machelen-Diegem, dans la grande banlieue de Bruxelles, où il avait tenté d’obtenir un emploi d’imam. En vain: le président du la mosquée de Diegem avait estimé que ses prêches n’étaient "pas adéquats" car ils "ne suivaient pas le Prophète" et étaient "plus extrêmes", selon le bourgmestre de la ville.

Le péril est-il dans ou hors des mosquées ?

La situation peut varier d’un pays à l’autre mais Michaël Privot, qui connaît bien les situations belge et française, souligne qu’une "surveillance plus ou moins directe" s’exerce sur les mosquées: elles peuvent être fermées et les prêcheurs de haine expulsés – en France, plusieurs dizaines l’ont d’ailleurs été depuis les attentats de janvier 2015.

"Les imams en poste dans les mosquées, il n’y a pas grand chose à en craindre: quand les autorités publiques ont des soupçons sur les discours, elles prennent des dispositions", abonde le sociologue Romain Sèze. Ce chercheur identifie davantage un danger lié à "des jeunes qui bénéficient d’un charisme certain, font des affidés en marge de la mosquée, se retrouvent dans des clubs de sports, chez des amis…"

Mieux former et encadrer pour écarter le danger ?

En France, où le jihadisme a fait 239 morts depuis 2015, c’est ce que veut faire l’État pour lutter contre les appels à la haine voire à la violence. Il finance pour cela des formations civiques et appelle au développement de cursus théologiques de qualité sur le sol français pour les imams et aumôniers des prisons, afin de ne pas dépendre des seuls instituts étrangers. Le gouvernement pousse aussi les responsables musulmans à "labelliser" leurs prédicateurs.

Mais la démarche d’habilitation achoppe sur l’absence d’autorité théologique dans l’islam sunnite et la mise en cause de la légitimité des autorités musulmanes. "Les mosquées continueront à faire sans", prédit Romain Sèze.

En outre, "il peut y avoir des brebis extrêmement galeuses à tous les niveaux: des autodidactes formés à la petite semaine comme d’anciens étudiants ayant passé un master en charia (loi islamique, NDLR) peuvent avoir des idées très radicales", estime Michaël Privot. Sans oublier que la "profession" d’imam, souvent mal rémunérée et déconsidérée en Occident, suscite peu de vocations parmi les jeunes.

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