Abdelhamid Abaaoud en France : des « défaillances majeures » dans Schengen
La présence en France du jihadiste belge Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attentats du 13 novembre à Paris tué mercredi dans un raid policier, révèle des défaillances majeures dans le système de contrôle aux frontières de Schengen, estiment des experts.
"Il faut l’admettre, Schengen est une passoire", assure à l’AFP un ancien haut responsable de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), qui demande à ne pas être identifié. "Ce gars, avec un CV et des antécédents pareils, où qu’il soit entré dans Schengen cela aurait dû provoquer un drapeau rouge".
Abdelhamid Abaaoud, dit Abou Omar al-Baljiki (le Belge), 28 ans, était un jihadiste endurci, récemment monté dans la hiérarchie de l’EI. Selon la lettre confidentielle Intelligence online, il avait été chargé en juin, lors d’une réunion des principaux chefs de l’organisation, de monter des opérations d’envergure dans la zone France/Espagne/Italie.
"Mon nom et ma photo étaient partout à la Une et je suis parvenu à rester chez eux, à planifier des opérations puis à partir sans problème et à rentrer en Syrie quand ça a été nécessaire", a-t-il plastronné dans les colonnes de Dabiq.
Autre raté dans le dispositif de contrôle de l’espace Schengen, zone de libre circulation actuellement composée de 26 pays européens, la présence, parmi les tueurs du Bataclan, de Samy Amimour.
Ce Français de 28 ans avait été mis en examen (inculpé) en octobre 2012 pour "association de malfaiteurs terroristes" et placé sous contrôle judiciaire. Ce qui ne l’a pas empêché de rejoindre un an plus tard la Syrie, provoquant l’émission d’un mandat d’arrêt international. Malgré cela, il est parvenu à rentrer en France incognito pour prendre part au pire attentat jamais commis dans le pays.
"Contrairement à ce qu’on pense, il est très facile d’entrer et de sortir de l’UE sans se faire repérer", assure le criminologue Christophe Naudin, spécialiste de la fraude documentaire. "On peut considérer les contrôles à l’entrée de Schengen comme quasi-inexistants."
Substitutions d’identité
"Le plus probable, c’est que ces jihadistes ont recours à des substitutions d’identité : c’est la méthode dite du +look-alike+. Il suffit de substituer au passeport de quelqu’un de recherché à celui de quelqu’un qui ne l’est pas et qui lui ressemble. Il va passer les contrôles sans problème", dit-il.
La première chose que les groupes jihadistes font quand ils reçoivent de nouvelles recrues (on estime que près de 30.000 volontaires étrangers ont rejoint leurs rangs) est de confisquer leurs papiers d’identité.
"On ne touche pas à la photo, c’est le nouveau porteur du passeport qui va tout faire pour y ressembler le plus possible", précise Christophe Naudin. "Il va se faire pousser la barbe, la tailler de la même façon. Et, plus de 99 fois sur cent, ça va marcher. C’est imparable, pas besoin de trafiquer le passeport".
L’EI a aussi tout à fait les moyens d’acheter au marché noir des papiers contrefaits de la meilleure qualité qui soit. Plus efficace encore: sa prise de contrôle de provinces entières, en Irak et en Syrie, lui a permis de faire main basse sur des milliers de passeports irakiens et syriens vierges, qu’il suffit de remplir.
"Quand Abaaoud affirme qu’il a fait des allers-retours avec l’Europe, je le crois", conclut Christophe Naudin. "Il n’est pas le seul. La seule solution, c’est l’emploi de la biométrie à l’échelle européenne. Tous les aéroports, toutes les frontières. Mais on en est loin".
Le massacre du 13 novembre à Paris, avec son effroyable bilan, va certainement conforter ceux qui, dans les administrations et les partis politiques européens, plaident depuis des années pour un renforcement des contrôles aux frontières et une amélioration des structures de coopérations entre services de renseignement, surtout en matière d’antiterrorisme.
Lors d’une réunion vendredi à Bruxelles, demandée en urgence par Paris, les ministres de l’Intérieur de l’UE vont demander que les contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union puissent désormais aussi concerner les citoyens européens, et non plus uniquement les ressortissants d’Etats tiers.