En effet, pour en découdre définitivement avec la contestation, le pouvoir algérien ne recule pas à utiliser des faux fuyants pour traquer journalistes, avocats, syndicalistes, défenseurs des droits de l’Homme et toute autre voix discordante qui s’élève contre un pouvoir inaudible aux aspirations des Algériens pour la liberté et la démocratie.
La condamnation, le 2 avril dernier par le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger, du journaliste Ihsane El Kadi âgé de 63 ans, critique du pouvoir, à cinq ans de prison, dont trois ferme, pour « financement étranger », est loin d’être un cas isolé.
Cette énième condamnation d’un journaliste s’inscrit en droite ligne de la logique du tout répressif choisie par le système algérien. Un pouvoir qui use, sans modération aucune, des arrestations policières et judiciaires à l’encontre de tous ceux qui osent exprimer leur opposition au régime.
Plus grave, le tribunal a prononcé la dissolution de la société « Interface Médias », éditrice des deux médias dirigés par Ihsane El Kadi, la confiscation de tous ses biens saisis, et dix millions de dinars d’amende (plus de 68000 euros) contre son entreprise.
Il faut rappeler que depuis fin décembre, l’agence « Interfaces Médias », pôle regroupant « Radio M » et le magazine « Maghreb émergent », a été fermée et mise sous scellés, et son fondateur Ihsane El Kadi arrêté.
Cette nouvelle condamnation a suscité un tollé général au sein de la société civile. Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) l’a qualifiée de « verdict de la honte ».
« C’est un jour triste pour la presse en Algérie, pour la démocratie et pour l’image du pays », soutient le réalisateur Bachir Derrais.
Le pouvoir algérien ne va pas s’arrêter là. Il a annoncé une nouvelle loi sur la presse qu’il compte adopter en vue de mettre la presse indépendante algérienne sur la corde raide, en la soumettant à davantage de pressions et de contrôle.
Pour faire taire toute revendication, la logique répressive du régime algérien prend de plus en plus pour cible les partis politiques et les organisations de défense de droits de l’Homme.
La dissolution en catimini, en janvier dernier, de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH) et du « Rassemblement Actions Jeunesse » (RAJ), deux des plus importantes associations de défense des droits de l’Homme en Algérie, en est la traduction la plus parfaite de cette dérive dangereuse.
D’abord, ces dissolutions ont lieu dans un climat où les défenseurs des droits de l’Homme ne se sentent pas en sécurité pour exercer leur droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
Ensuite, comme l’affirment les dirigeants de la LADDH, ces dissolutions se sont opérées en catimini.
Ces derniers n’étaient pas au courant de l’existence de cette plainte, comme ils n’ont pas été convoqués au procès qui s’est déroulé en catimini. Le 22 janvier, la Ligue annonçait officiellement qu’elle avait bel et bien cessé d’exister juridiquement, dénonçant l’ »acharnement continu » la visant par le biais de ce jugement « d’une extrême gravité ».
Fait du hasard, les bureaux de la Ligue à Bejaïa et à Tizi Ouzou, parmi les plus actifs en Algérie, étaient mis sous scellés dès le lendemain.
Saïd Salhi , vice-président de la LADDH, qui a dû fuir en juin dernier Alger en sait quelque chose. C’est de son refuge belge qu’il a appris, incrédule, la dissolution de la Ligue sous la forme d’un document diffusé le 20 janvier sur les réseaux sociaux.
Il faut reconnaître qu’en matière des droits de l’Homme, l’Algérie est un pays pointé du doigt que ce soit au niveau des instances onusiennes qu’auprès des autres organisations défendant les droits humains.
Mary Lawlor, Rapporteuse Spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme a exprimé récemment sa préoccupation de la répression croissante contre la société civile par les autorités algériennes.
Elle soutient que « la décision de dissoudre ces deux associations des droits humains démontre une répression alarmante des organisations de la société civile et porte gravement atteinte à l’espace dont disposent les défenseurs des droits de l’Homme ».
Au Conseil des droits humains (CDH) à Genève, l’Algérie a essuyé le 11 novembre 2022 les critiques des Etats-Unis mais aussi du Royaume-Uni et de l’Allemagne lors de son examen périodique universel (EPU).
Alger s’est vu réclamer par la représentante américaine d’abroger les amendements de l’article 87 bis du Code pénal qui « contiennent une définition exagérément vaste du terrorisme » et de libérer « les journalistes, défenseurs des droits humains et ceux qui sont détenus en vertu de cette disposition ».
L’Algérie a également été priée de « cesser de harceler journalistes et défenseurs des droits humains et de retirer les accusations d’atteinte à l’unité nationale ».
Ces amendements, adoptés en juin 2021, assimilent désormais à du « terrorisme » ou à du « sabotage » tout appel à « changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ». Résultat : Quelque 300 prisonniers d’opinion croupissent, certains depuis plus de trois ans et sans le moindre procès, dans les geôles algériennes, souvent accusés de terrorisme.
Le 29 mars 2023, à l’occasion de l’examen périodique universel de l’Algérie, les organisations de la société civile ont exprimé leur dépit à la suite du refus par le gouvernement algérien des recommandations relatives à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association et aux détentions arbitraires.
La loi sur les réunions et les rassemblements publics est considérée trop restrictive et des manifestants pacifiques sont arrêtés sous le prétexte de « rassemblements non armés ».
Des juges et des avocats ont même fait l’objet de mesures disciplinaires et de poursuites pour avoir exercé leurs droits.