Selon les termes de cette convocation inédite, le fond de l’affaire tourne autour d’un article publié par le site marocain quid.ma en date du 20 juin 2014. La justice française envisage de mettre en examen les deux journalistes pour avoir publié un article intitulé ‘’l’honneur perdu d’un ex-capitaine qui confond justice traditionnelle et caniveau’’ » […] contenant une expression outrageante, un terme de mépris ou une invective envers M. Mustapha Adib », [en l’occurrence] Ce qu’a fait Mustapha Adib tend à la barbarie ».
Cet événement relatait et commentait la "visite" de l’ex-capitaine Adib au feu général Abdelaziz Bennani alité à l’hôpital Val-de-Grace à Paris. Une visite que Rabat avait qualifiée à l’époque de « lâche agression morale dont a été victime, Abdelaziz Bennani (…) de la part du dénommé Mustapha Adib .»
La surprise de la convocation est d’autant plus réelle que l’affaire date de 2014 et ne concerne qu’un commentaire fait par une journaliste sur la démarche d’un homme, l’ex-capitaine Adib qui avait habitué les plateaux de certaines télévisions françaises de sorties et de postures clivantes en totale rupture avec son pays d’origine. Et l’ampleur de l’affaire est d’autant plus irréaliste que la justice française mobilise son énergie et ses agendas pour juger une telle affaire.
Au-delà du fait de savoir si cette justice française est judiciairement compétente pour juger des articles de presse écrits sur des supports médiatiques marocains par des journalistes marocains, cette affaire pose une vraie problématique et provoquera sans aucun doute une réflexion à multiples dimensions. Il est vrai que ces dernières années, à l’occasion de la fameuse crise politico-judiciaire entre le Maroc et la France de 2014, le retour à la normale s’est réalisé au prix d’un important ajustement des accords des coopérations judiciaires entre Paris et Rabat. Ajustement qui avait été signé et mis en scène par les deux ministres de la Justice de l’époque Christiane Taubira et Mustapha Ramid avec un objectif ambitieux : délimiter les compétences, fixer les processus de poursuites pour éviter les chocs frontaux et les impasses juridiques qui provoquent des crises diplomatiques. Sans doute ces ajustements touchaient-ils en priorité des sujets brûlants comme le grand banditisme, le trafic de drogue, la traite des êtres humains, la lutte contre les groupes terroristes ou encore le blanchiment d’argent.
Mais ce que révèle cette affaire Reghaye/Kamal/Adib, c’est qu’un simple commentaire depuis Rabat sur un fait qui s’est déroulé à Paris peut mobiliser l’arsenal judiciaire français et traîner devant la justice les auteurs du dit commentaire.
À réfléchir sur les enjeux d’une telle démarche, il est impossible de ne pas imaginer une situation de réciprocité. Peut-on imaginer qu’un citoyen marocain, homme politique, association ou entreprise marocaine déposer auprès des autorités judiciaires marocaines au Maroc une plainte pour dénoncer un commentaire ou une prise de position critique d’un journaliste français sur un média français ? Si cette justice marocaine se donne ce luxe d’adresser une convocation avec autant de gravité que celle adressée aux deux journalistes marocains par le tribunal de grande instance de Paris, est-il permis d’imaginer et le tollé général d’une telle séquence et le tourbillon qu’une telle décision peut provoquer sur la très particulière relation franco-marocaine ?
Les deux journalistes convoqués par la justice française Narjis Reghaye et Naïm Kamal font partie de l’élite de la presse marocaine. Deux profils médiatiques racés qui ont cumulé une grande expertise et un vrai savoir-faire dans leurs domaines. La première s’est faite remarquée ces dernières années par sa plume acérée et ses analyses pertinentes des aléas de la vie politique marocaine. Le second, Naïm Kamal, un ancien du Journal « L’opinion » de la belle époque, s’est imposé au fil des années comme un homme de médias référence qui écume avec gourmandise les plateaux de télévision marocains. Connu pour son le franc parler et le panache que lui procure quatre décennies d’expérience de la presse marocaine, il est le fondateur du site quid.ma.