Visite du Pape au Maroc : une rencontre au sommet entre l’Eglise catholique et la Commanderie des croyants
Par Abdellah Boussouf
SG du CCME*
Le Grand pontife, ou le Pape du Vatican, est l’une des personnalités les plus influentes du monde. L’Eglise catholique est l’une des institutions les mieux organisées, régie par des traditions ancestrales fortement ancrées dans l’histoire et soutenue par de puissants canaux médiatiques à travers le monde. Les visites du Pape dans différents pays, chrétiens ou non chrétiens, revêtent donc une importance extrême qui se traduit dans l’organisation du déplacement papal et dans la couverture médiatique planétaire qu’elles suscitent. Un agenda annuel organise les voyages apostoliques, avant de communiquer à la presse le programme, le logo et les signes spécifiques dédiés à chaque visite.
L’agenda de la maison pontificale avait ainsi prévu deux visites importantes cette année. La première organisée aux Émirats Arabes Unies en février 2019 et la deuxième au Maroc en mars 2019. Soumis aux règles du Protocole du Vatican, le Pape, qui était attendu pour la signature du Pacte mondial pour les migrations en décembre 2018 à Marrakech, n’a pas pu s’y rendre pour des questions d’agenda.
Au-delà du programme communiqué par le Vatican, la visite du Pape François au Maroc est différente de celles qui ont eu lieu en Jordanie en 2014, à Al-Azhar en avril 2017 ou aux Émirats en février 2019. Elle est différente eu égard au contexte historique et à la symbolique des institutions religieuses.
Ces dernières années ont été marquées par le débat sur la manière d’ancrer la culture de la paix, du vivre-ensemble et de la solidarité dans un climat chargé de manœuvres politiciennes, idéologiques, par la montée de l’extrême-droite et les répercussions de choix économiques comme la mondialisation ou la crise mondiale. Une situation aggravée par les actes terroristes qui ont frappé de plein fouet toute politique de rapprochement et de solidarité et engendré une vague de racisme et de haine envers les étrangers, en particulier les musulmans, accentuée par les migrations massives en 2015.
Ce débat a propulsé la question du dialogue des civilisations et des religions, le dialogue Orient-Occident et le respect des droits des minorités et de la liberté de conscience au cœur des conférences régionales et internationales où prennent part les acteurs politiques et culturels auprès des représentants des différentes religions dans le monde. On peut en citer, à titre d’exemple, les rencontres la Conférence de Marrakech sur la protection des minorités religieuses dans les sociétés musulmanes en 2016 et le Forum pour le renforcement de la paix dans les sociétés musulmanes en mai 2017 à Abu Dhabi.
D’autre part, la visite du Pape au Maroc célèbre aussi la rencontre entre l’institution de l’Église catholique et celle de la Commanderie des croyants qui puise son essence dans l’histoire de la religion islamique, notamment en ce qui a trait à la coexistence entre musulmans et adeptes des autres religions monothéistes.
Le Vatican célèbre en ces prochains jours le 800e anniversaire de la rencontre historique entre Saint- François d’Assise et le Sultan d’Égypte Al Kamil en 1219 qui a été le symbole de la paix, du vivre-ensemble et du dialogue interreligieux et édite un timbre postal dédié à la mémoire de cette rencontre. L’occasion pour nous de raviver l’histoire qui témoigne des relations privilégiées entre le Royaume chérifien, l’Italie et le Vatican. On se rappelle sûrement la première carte du monde réalisée par le Marocain Al Charif Al Idrissi à la demande du Roi Roger II de Sicile ou encore l’ouvrage "La Description de l’Afrique" de l’explorateur Hassan al-Wazzan écrit au XVIᵉ siècle à la demande du Pape Léon X. Et il existe dans l’histoire commune plusieurs exemples qui démontrent la considération allouée par l’institution de la Commanderie des croyants aux ressortissants chrétiens.
Le Dahir de Moulay Ismail promulgué le 8 Moharram 1092 (28 janvier 1681) pour faciliter le travail des moines français au Maroc qui a été suivi de plusieurs correspondances avec le Roi français Louis XIV concernant les affaires religieuses, la présence du Sultan Moulay Youssef à l’inauguration de la Grande Mosquée de Paris le 17 juillet 1926 auprès du président français Gaston Doumergue, le Monastère de Tioumliline qui a été construit en 1952 près de la ville d’Azrou et qui a été un espace international pour la rencontre des religions, des civilisations et autres courants intellectuels et philosophiques, ou encore la visite du Commandeur des croyants Feu Hassan II en avril 1980 au Vatican et la visite du Pape Jean-Paul II en 1985 au Maroc dont les images resteront gravées dans l’histoire.
Ce sont là les témoignages d’une histoire commune entre le Royaume chérifien et l’Eglise catholique auxquels vient s’imprimer la vision incarnée par SM le Roi Mohammed VI qui a fait de la préservation des églises catholiques, protestantes et orthodoxes, des synagogues juives et des cimetières des communautés chrétiennes et juives dans tout le Royaume une priorité qui traduit l’essence de l’institution de la Commanderie des croyants et consacre le vivre-ensemble et la tolérance religieuse.
Tout ce dynamisme historique fera de la rencontre des institutions de l’Eglise catholique et de la Commanderie des croyants attendue les 30 et 31 mars 2019 un moment spécial. Un sommet de la diplomatie religieuse qui permettra de porter l’attention sur plusieurs questions comme l’immigration, le terrorisme et le racisme, et l’occasion de promouvoir la paix et la solidarité humaine pour élargir l’espace de dialogue interreligieux.
*Abdellah Boussouf, historien, islamologue, est Secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME)