La législation en vigueur stipule que «la carte de séjour temporaire […] est délivrée de plein droit à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire». Le projet de loi propose de remplacer la clause restrictive par la formule «sous réserve de l’indisponibilité d’un traitement approprié».
La disponibilité des traitements est une chose ; leur accessibilité effective en est une autre. Ainsi, dans le monde, plus de 60% des individus qui vivent avec le sida et qui auraient besoin d’un traitement n’y ont pas accès. La tuberculose représente 25% des causes «évitables» de mortalité dans le Sud, quand bien même il existe des programmes de lutte contre cette maladie dans la plupart des pays.
Fonder sur le critère de (l’in)disponibilité d’un traitement approprié dans leur pays, l’octroi d’un titre de séjour provisoire pour les étrangers gravement malades résidant habituellement en France, condamnera donc nos patients : à la mort dans leur pays si les traitements n’y sont effectivement pas accessibles ou à la clandestinité, pour celles et ceux qui resteront en France. Seules des maladies qui engagent le pronostic vital sont actuellement prises en considération : la législation actuelle n’est donc absolument pas laxiste.
A l’échelle individuelle, le durcissement de la loi aura pour conséquence de faire basculer dans la clandestinité et la précarité nombre de patients. Ce basculement entraînera une diminution considérable de leurs chances thérapeutiques. Non seulement des personnes mourront ou souffriront davantage, mais l’ensemble de la société pâtira d’une mesure qui accroît les risques de contagion et d’épidémie. Enfin, une telle mesure aura des conséquences contraires à l’objectif de maîtrise des dépenses de santé.
En situation de clandestinité ou de précarité, les personnes fréquentent en effet moins les hôpitaux, elles délaissent leurs traitements et elles ne sont plus dépistées. La santé publique exige l’accès régulier aux soins des personnes gravement malades. Quand nous soignons quelqu’un, nous le faisons pour la personne que nous avons devant nous, mais cette action particulière a aussi un impact positif pour toutes celles et ceux qui côtoient le malade suivi ou vivent avec lui. Enfin, les retards dans l’accès aux soins engendreront des surcoûts : le traitement des maladies graves est d’autant plus coûteux et inefficace que les soins sont tardifs. Ces coûts supplémentaires grèveront l’Aide médicale d’Etat et les budgets des hôpitaux, puisque nous continuerons de soigner ces personnes.
Au nom des 1 000 médecins signataires de l’appel «Accessibilité effective», des sociétés savantes et des associations qui s’y sont associées, nous demandons solennellement le rejet de l’article 17 ter. Il en va de la préservation des finances hospitalières, de la santé publique et de la vie de nos patients.
Signataires : François Bourdillon (président de la Société française de santé publique), Bruno Housset (président de la Fédération française de pneumologie), Christian Rabaud (président de la Société de pathologie infectieuse de langue française), Willy Rozenbaum (président du Conseil national du sida), Dominique Valeyre (président de la Société de pneumologie de langue française). Les organisateurs de l’appel : Nathalie de Castro, Matthieu Lafaurie, Victoire de Lastours, Matthieu Mahévas. Contact : [email protected]