Pourquoi Anne Sinclair suscite-t-elle tant de passions ?
Depuis le mois de mai dernier, la personnalité d’Anne Sinclair nourrit bien des débats, suscitant les passions les plus extrêmes. Quoi qu’elle fasse ou dise, tout est commenté et jugé. Ne finit-on pas en faire trop à son sujet ?
– "Je suis une femme libre",
– "Personne ne sait ce qui se passe dans l’intimité des couples et je dénie à quiconque le droit de juger le mien",
– "Le soutien inconditionnel ça n’existe pas. On soutient si on a décidé de soutenir",
c’est que tu n’as pas regardé la télévision, écouté la radio et n’est pas relié à la grande toile électronique.
Lundi prochain, Anne Sinclair présidera au lancement du "Huffington Post", un site d’informations générales calqué sur un modèle américain, ce qui explique l’entretien accordé au magazine "Elle", et le déluge de commentaires que ces deux faits ont engendrés.
Un tsunami médiatique
Quand viendra le temps de l’apaisement (dans un an ? dix ans ? un siècle ?) les générations futures de sociologues, anthropologues et historiens se pencheront sans doute avec intérêt et profit sur le destin d’Anne Sinclair en l’an 2011/12.
Le tsunami médiatique qui s’est abattu sur elle depuis le mois de mai dernier, les débats dont elle est devenue l’enjeu, les controverses politico-médiatico-féminististes qu’ont suscité son rôle, sa personnalité, ses choix, ses engagements et ses postures, les rumeurs dont elle a été l’objet et la victime, tout cela a pris des proportions inégalées et démesurées. Combien de centaines de unes de journaux ? Combien de centaines de sujets dans les journaux télévisés ? Combien de centaines d’heures d’émissions spéciales à la radio ou sur les chaînes d’informations en continu ?
Ces derniers mois, à lire les analyses, commentaires et points de vue publiés quasi quotidiennement de féministes, socialistes, philosophes, éditorialistes, chauffeurs de taxis et juristes, on a eu souvent le sentiment qu’Anne Sinclair devait rendre des comptes sur tout et à tout le monde.
Pourquoi et comment cette personnalité publique est-elle ainsi devenue un objet (une cible ?) médiatique jusqu’à concentrer sur sa seule personne les conséquences de cent ans de passions françaises ? Pêle-mêle, son nom surgit dans tout débat dès que sont évoqués : le rapport homme/femme, le couple, l’argent, le pouvoir, la politique, la judéité, le journalisme et on en oublie certainement.
Quelle cible ?
Pourquoi, aux yeux de tant et tant de gens, Anne Sinclair porte-t-elle le poids d’un siècle de travers français ? Parce qu’elle se trouve à l’intersection de tous ces domaines ? Parce qu’elle incarne la version médiatique contemporaine de l’antique bouc émissaire ?
On confessera ici ne pas disposer, contrairement à beaucoup, d’une réponse totale, absolue et définitive. On se contentera de noter, comme mentionné plus haut, qu’il y a là matière à investigation et travaux pour les sociologues du futur.
Il suffit de contempler ce qui s’écrit sur le réseau social Twitter, cette formidable caisse de résonance médiatique (pour le pire et le meilleur) afin de juger in vivo de l’authenticité de ce qui est dit plus haut. On peut y lire en masse des propos hallucinants et l’on se pose souvent, au sujet de ceux qui les profèrent, les mêmes questions que se poseraient (selon le "Canard enchaîné") Jean-François Copé sur Laurent Wauquiez.
En outre, la "sinclairisation" du débat public, et l’omnipotence prêtée à l’intéressée, mènent parfois à soulever des questions absurdes. Par exemple, il suffit qu’Anne Sinclair prenne la direction d’un site d’informations sur internet (un parmi d’autres…) pour qu’aussitôt naisse un débat comme on les aime sur la toile : comment ce site traitera-t-il des affaires liées à son mari ? Ce site sera-t-il indépendant ? Serons-nous manipulés ? Désinformés ? Intoxiqués ? Enfumés ? Comme si le futur site dirigé par Anne Sinclair allait jouir d’un monopole sur le net comparable à celui de la défunte ORTF.
La règle en la matière est pourtant simple, et l’on s’en veut presque de la rappeler : la première liberté du lecteur, c’est de ne pas lire. Point. La question soulevée par le retour d’Anne Sinclair en journalisme parait vide de sens. Et ce n’est pas la seule probablement.
Il serait peut être temps que tous ceux, de bas en haut de la société française, font d’Anne Sinclair un objet de débats permanents, souvent vides de sens ou dénués de fondements, considèrent qu’il n’est pas insensé qu’elle puisse faire ce qu’elle veut, comme elle le veut, quand elle le veut, et cessent de la hisser sans se lasser, et à tout propos, sur un bûcher qui a toutes les apparences d’un bûcher des vacuités françaises.
Selon la formule consacrée (Jean Racine, in Britannicus, acte 2, scène 3) elle ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.