Bref, une épreuve digne d’un parcours du combattant; 16 heures par jour, par 40 à 45 degrés à l’ombre, pour contenter l’un des cinq piliers de l’islam —celui le plus observé par les Algériens et les Maghrébins d’une manière générale.
Car si en Algérie tout le monde ne fait pas la prière, l’un des cinq premiers préceptes avec le ramadan, la chahada (attestation de l’unicité de Dieu), la zakat (aumône aux pauvres) et le Hadj (pèlerinage à la Mecque), en théorie chacun observe le jeune, pratique plus culturelle que religieuse.
D’où le problème d’un bon nombre d’Algériens pas convaincus et ni réellement pieux, mais qui se forcent au jeûne pour montrer leur capacité de résistance. Cette virilité entraîne de fait chaque année des affrontements, bagarres, rixes et empoignades qui finissent mal en général —comme les histoires d’amour. Inquiète, la police nationale a pour la première fois donné des chiffres sitôt les quatre premiers jours du ramadan entamés (le mois de jeûne a commencé en Algérie le 1er août).
Bilan effarant, avec une moyenne de 500 bagarres par jour, qui se sont soldées par la mort de quatre personnes. Violents aussi avec eux-mêmes, une cinquantaine d’accidents de voiture ont déjà été enregistrés, qui ont fait 19 morts. Un ramadan qui démarre donc sur les chapeaux de roue. Loin de la piété, l’essentiel est d’être un homme.
Le jeûne, abstinence totale, entraîne un sérieux problème de manque. En dehors de la déshydratation et de la chaleur qui occasionnent des délires, le problème va du simple sevrage café-tabac qui rend passablement nerveux, au manque de cannabis, avec une anxiété supérieure, jusqu’au stade beaucoup plus sérieux, la désintoxication aux psychotropes pour les nombreux accros de ces drogues chimiques.
L’Algérie en manque
En effet, l’Algérie figure parmi les plus grandes consommatrices de la planète (plus de 2 millions de comprimés saisis l’année dernière par les services de sécurité, représentant 29 tonnes, contre 40 tonnes de cannabis) qui alimentent un marché informel florissant, brassant 20 millions de comprimés, essentiellement des benzodiazépine comme le Valium, Diazepam et Rivotril. A tel point que le Maroc, très bio, qui exporte du cannabis vers l’Algérie, se plaint de l’introduction illégale et massive de psychotropes en provenance de cette dernière.
Une guerre de fous, où l’Algérie est pour l’instant gagnante, avec ses abonnés réguliers à ces drogues du pauvre, encore moins chères que le cannabis (une plaquette de 10 comprimés coûte environ 1 euro), mélangées à de l’alcool ou d’autres substances —c’est le shoot assuré à moindre frais.
C’est là où la violence entre en scène: ces molécules neurotoxiques entraînent une dépendance très forte; douleurs, convulsions, violents troubles psychiques accompagnent le sevrage. «Ara habba Valium bech n’hal 3iniya» (donne moi un Valium pour que je puisse ouvrir les yeux), chante Amazigh Kateb, l’un des chanteurs les plus populaires en Algérie.
Mais si la violence apparaît pendant le ramadan, le reste de l’année ce n’est pas mieux. Selon les chiffres, la moitié des détenus algériens sont accros aux psychotropes et en 2010, 69.446 cas d’atteinte aux personnes ont été consignées, avec les CBV, coups et blessures volontaires, en tête de liste. Violente aussi contre elle-même, pour les accidents de voiture l’Algérie est classée en tête des nations avec plus de 11 tués chaque jour et 5 accidents de la route chaque heure —soit une moyenne de 4.000 morts par an, pour une population de 36 millions d’habitants.
L’Algérien est-il violent? Oui, mais l’Algérienne aussi puisque les femmes sont de plus en plus présentes dans les chiffres de la délinquance.
Une violence politique et économique
Mais pourquoi l’Algérie? En dehors de sa grande consommation de psychotropes, il y a une violence typiquement algérienne. Pour des raisons historiques —les guerres d’indépendance et le terrorisme—, politiques —la violence du régime érigée en norme—, ou encore idéologiques, comme la prime à la violence du fait de l’amnistie des terroristes par le président. C’est tout? Non, bien sûr; l’Algérie est malheureuse et a faim de tout, et aussi d’argent.
Comme à l’accoutumée, les prix des produits alimentaires flambent pendant le ramadan. On jeûne la journée mais on mange beaucoup le soir, pour se rattraper. Ce qui se traduit par une tension sur la demande et une inflation, mais aussi par des files d’attente aux urgences hospitalières, la plupart du temps pour des cas d’indigestions, mêlés aux victimes des nombreuses rixes, dommages collatéraux du ramadan.
C’est durant cette période que les pauvres se comptent, par le nombre de couffins (paniers alimentaires) donnés par le ministère de la Solidarité. Si l’année dernière, un million de couffins ont été distribués aux familles (qui représentent 6 millions de personnes environ), 1 million et demi de ces couffins de première nécessité ont été offerts cette année, soit 9 millions de démunis.
Ceci explique un peu cela, la misère avance avec la délinquance, d’autant que les statistiques des services de sécurité expliquent que plus de 50% des criminels qui sévissent dans la capitale font partie de la société inactive.
A Alger, les journées sont donc difficiles, autant par le jeûne, très pénible en cette chaleur, que par la présence de jeunes délinquants désœuvrés, en proie aux manques de toutes sortes. Mais le soir, la tendresse revient au cours des longues sorties nocturnes où se mêlent hommes et femmes, familles, couples et célibataires, quand les jeunes accros ont pris leurs calmants.
Tout un contraste, à l’algérienne. La journée, la haine ; le soir, la douceur. Oui, le ramadan est théoriquement un mois mystique, le mois de la Révélation prophétique, et on a oublié Dieu dans tout cela. Mais comme à son habitude, il est partout et nulle part.
Chawki Amari