Tunisie: l’état d’urgence prolongé au nom de la « guerre contre le terrorisme »
La présidence tunisienne a annoncé vendredi la prolongation de deux mois de l’état d’urgence proclamé début juillet après l’attaque jihadiste la plus sanglante de l’histoire du pays, en raison de la persistance de menaces d’attentats.
"Après des consultations avec le chef du gouvernement et le président du Parlement, le président de la République a décidé de prolonger l’état d’urgence sur tout le territoire de deux mois à partir du 3 août 2015", a indiqué la présidence dans un bref communiqué.
Cette décision a été prise non pas en raison de menaces précises mais "parce que les causes (qui ont conduit à l’instauration de l’état d’urgence) sont toujours là", a déclaré à l’AFP le porte-parole de la présidence, Moez Sinaoui.
"On est en guerre contre le terrorisme", a-t-il ajouté.
"Guerre spéciale"
Le 4 juillet, huit jours après l’attaque jihadiste la plus sanglante de l’histoire de la Tunisie, le président Béji Caïd Essebsi avait proclamé l’état d’urgence pour 30 jours. Le chef de l’Etat avait expliqué sa décision par les "dangers qui menacent le pays" et par "la persistance de menaces qui font que le pays est (face à une) guerre d’un genre spécial".
Trente-huit touristes, dont 30 Britanniques, ont été tués le 26 juin lorsqu’un étudiant tunisien armé d’une Kalachnikov a ouvert le feu dans un hôtel de Port El Kantaoui (centre-est). L’attentat a été revendiqué par le groupe Etat islamique (EI), tout comme celui qui avait visé des touristes au musée du Bardo à Tunis le 18 mars.
L’état d’urgence accorde des pouvoirs d’exception aux forces de l’ordre. Il permet notamment aux autorités d’interdire les grèves et les réunions "de nature à provoquer ou entretenir le désordre", de fermer provisoirement "salles de spectacle et débits de boissons" ainsi que de "prendre toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature".
Sa proclamation plusieurs jours après l’attentat avait suscité des interrogations, certains craignant une restriction des libertés publiques et une criminalisation des mouvements sociaux sous couvert de lutte antiterroriste.
Craintes pour les libertés
L’ONG Human Rights Watch (HRW) avait appelé les autorités tunisiennes à "s’abstenir de recourir à ces pouvoirs d’urgence d’une manière qui outrepasse ce que le droit international et la Constitution tunisienne autorisent".
"L’imposition de l’état d’urgence ne donne pas au gouvernement tunisien le droit de supprimer les droits humains et les libertés fondamentales", avait dit l’ONG. "Les défis auxquels la Tunisie fait face en matière de sécurité justifient sans doute une réponse ferme, mais pas l’abandon de droits dont la garantie dans la Constitution promulguée après la révolution a été obtenue de haute lutte par les Tunisiens".
Les autorités se sont de leur côté voulues rassurantes, affirmant que la mesure servirait "à sécuriser la Tunisie et à diffuser (…) un sentiment de sécurité".
Le Premier ministre Habib Essid a ainsi affirmé que l’état d’urgence "nous permet de mieux maîtriser (la situation) et de soutenir l’armée nationale sur le terrain afin d’avoir plus de chances d’éradiquer le terrorisme".
"L’objectif de l’état d’urgence est de se donner tous les moyens pour protéger les institutions et les acquis de la Tunisie", et non de "restreindre les libertés, au contraire", a-t-il dit.
Depuis sa révolution il y a quatre ans, la Tunisie fait face à une progression de la mouvance jihadiste, déjà responsable de la mort de dizaines de policiers et de militaires.
Les Tunisiens ont déjà vécu plus de trois ans sous état d’urgence, du 14 janvier 2011, quelques heures avant la fuite du dictateur Zine El Abidine Ben Ali dans la foulée du soulèvement qui a lancé le "Printemps arabe", à mars 2014.