Nicolas Sarkozy, qui avait survolé le débat de 2007 contre Ségolène Royal, fort de son avance dans les sondages qui lui permettait de rester en défense pour pousser son adversaire à la faute, était dans l’obligation d’attaquer pour refaire son retard face à un François Hollande donné gagnant le 6 mai.
Mais à aucun moment ce dernier n’a paru en difficulté mercredi soir dans cette joute qui, selon les politologues, ne peut modifier le rapport de forces qu’à la marge. L’écart dans les sondages entre les deux hommes est d’au moins six points.
"Je pense que François Hollande ne s’est pas laissé impressionner ni dominer", a déclaré Jérôme Fourquet, de l’institut de sondages Ifop. "Ce débat ne devrait pas modifier les équilibres et comme François Hollande est en position de favori, c’est à lui que cela devrait profiter."
Le candidat socialiste a conclu le débat en dressant le tableau de ce que serait sa présidence sous le tryptique du redressement, de la justice et du rassemblement.
"Voilà le choix qui est posé pour dimanche : continuer avec vous, Nicolas Sarkozy, ou changer. Il n’y a pas de peur à installer, que les Français n’aient pas peur", a-t-il dit.
A l’issue de 144 minutes de débat, Nicolas Sarkozy a surtout lancé un appel aux électeurs de Marine Le Pen, du centriste François Bayrou ainsi qu’aux indécis dont il aura besoin dimanche, avant d’insister sur son expérience des crises.
"Nous sommes dans un monde dangereux, un monde difficile, où il faut savoir prendre des décisions, tenir un cap et assumer ses responsabilités", a-t-il souligné.
DRAPEAU ROUGE
Nicolas Sarkozy a d’emblée tenté de déstabiliser son concurrent en se présentant en rassembleur de tout le peuple français face au candidat socialiste qui ne représenterait que la gauche, ce qu’ont illustré selon lui les défilés du 1er-Mai.
"Quand on défile derrière le drapeau rouge, avec la faucille et le marteau, est-ce que c’est l’esprit de rassemblement ?", a-t-il dit en estimant que les soutiens de François Hollande l’avaient traÂŒné dans la boue en le comparant à Pétain.
"M. Sarkozy, vous avez du mal à passer pour une victime", a rétorqué le candidat socialiste, qui a dénoncé la "stigmatisation" des syndicats et des étrangers dont il accuse le président-candidat de s’être rendu responsable.
L’économie a été l’objet d’une autre passe d’armes souvent tendue sur le bilan du quinquennat finissant et à aucun moment le candidat socialiste n’a paru déstabilisé.
François Hollande a attaqué sur le thème du chômage, qui a atteint en mars son plus haut niveau depuis 1999.
"C’est beaucoup, c’est énorme, c’est un record", a-t-il dit.
"CE N’EST JAMAIS DE VOTRE FAUTE"
Pour Nicolas Sarkozy, cette détérioration est due à la crise et aux mesures prises par la gauche lorsqu’elle était au pouvoir de 1997 à 2002, notamment la semaine de travail de 35 heures, alors que l’Allemagne prenait la direction inverse.
"L’Allemagne a fait le contraire de la politique que vous proposez aux Français", a-t-il estimé en accusant son adversaire socialiste de méconnaÂŒtre les réalités économiques.
La réponse de François Hollande a fusé : "Avec vous, c’est très simple, ce n’est jamais de votre faute".
Les deux hommes se sont notamment opposés sur la dette publique qui, a rappelé François Hollande, a augmenté de 600 milliards d’euros ces cinq dernières années.
Pour ramener le déficit public à zéro, le candidat socialiste entend revenir sur tous les "cadeaux fiscaux" faits aux "plus privilégiés" et qui ont creusé la dette, notamment en rétablissant l’impôt de la solidarité sur la fortune.
Faux, a dit Nicolas Sarkozy : l’augmentation de la dette est due pour l’essentiel à la crise et le programme socialiste aggraverait les choses en augmentant les impôts, notamment pour engager 60.000 enseignants de plus dans l’Education nationale.
Les deux adversaires se sont mutuellement accusé de mentir aux Français lors d’un échange extrêmement vif.
"Dans votre volonté de démontrer l’indémontrable vous mentez", a déclaré Nicolas Sarkozy.
"Vous avez vraiment ce mot à la bouche. A force de l’exprimer, ça veut dire que vous avez une propension qui me paraÂŒt assez grande à commettre ce que vous reprochez à d’autres", a répondu François Hollande.
L’EUROPE SORTIE DE L’ORNIERE ?
Fort de son expérience de gestion de la crise des dettes, le président sortant s’est efforcé de démontrer qu’il avait sauvé l’euro et permis à la France d’emprunter à des taux historiquement bas sur les marchés financiers.
"L’Europe s’en est sortie", a-t-il dit en fustigeant l’exigence d’une renégociation du traité de discipline budgétaire européen formulée par François Hollande.
Certes, a-t-il dit, la croissance doit être stimulée mais soit le candidat socialiste "invente le fil à couper le beurre" en prônant une taxe sur les transactions financières que le gouvernement sortant entend mettre en place, soit il défend des instruments dangereux, comme les euro-obligations.
"Vous trouvez qu’on n’a pas assez de dette comme ça ?", a-t-il demandé en estimant que l’Allemagne et la France finiraient par payer la note pour des pays comme la Grèce et l’Espagne.
Pour François Hollande, la situation est loin d’être aussi rose que le dit le président sortant.
"L’Europe ne s’en est pas sortie", a-t-il dit en jugeant que Nicolas Sarkozy n’avait rien obtenu de l’Allemagne.
L’octroi du droit de vote aux immigrés venant de pays tiers à l’Union européenne, proposé par le candidat socialiste et refusé par le président sortant, ainsi que la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, voulue par François Hollande, les a également opposé.
"Sous ma présidence, il n’y aura aucune dérogation que ce soit à la règle de la laïcité, a expliqué François Hollande, accusé par son concurrent de nourrir le "communautarisme".
Sept électeurs sur dix avaient l’intention de regarder le débat, que les commentateurs attendaient comme le point d’orgue de la campagne, comme toujours depuis sa première édition en 1974, et les rues de Paris étaient vides mercredi soir.
"Les restaurants qui n’ont pas de télévision sont tous vides ce soir, comme le mien", a dit Mustapha, propriétaire d’une gargotte turque. "C’est le débat."