Habituellement plus enclin aux digressions philosophiques, Luc Ferry a fait une sortie remarquée lundi soir sur Canal+. Alors qu’il était interrogé sur la vie privée des hommes politiques, l’ex-ministre de l’Education nationale a accusé un autre ancien ministre d’avoir eu des relations avec des mineurs au Maroc.
Il "s’est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons. J’ai des témoignages des membres de cabinets au plus haut niveau, et des autorités de l’Etat au plus haut niveau", a t-il déclaré sans ambage.
Interrogé sur l’identité de cet ancien ministre, Luc Ferry a botté en touche: "Si je sors le nom maintenant, c’est moi qui serai mis en examen et à coup sûr condamné, même si je sais que l’histoire est vraie."
Contacté par LEXPRESS.fr, Luc Ferry affirme n’avoir pas eu le sentiment de jouer les délateurs: "J’ai souhaité défendre la presse qui respectait la vie privée et qui ne se rendait pas coupable de diffamation. Je n’ai aucune preuve, ni aucun fait précis sur cette affaire, mais à l’époque où j’étais ministre, j’en ai entendu parler. On m’a rapporté mille choses sur mille ministres mais je ne dirai jamais rien, à part si cela mettait en danger la République."
Des déclarations qui agacent en tout cas ses collègues actuellement au gouvernement. Interrogé sur France culture, Alain Juppé a séché le philosophe: "Si on a la conviction qu’il y a eu un délit, voire un crime, on saisit la justice et on ne va pas simplement bavasser dans la presse. Si Luc Ferry a la preuve qu’il y a eu un comportement délictueux ou criminel qu’il saisisse la justice!" s’est indigné le ministre des Affaires étrangères.
Hypocrisie ou maladresse, l’ancien ministre de l’Education nationale a quoi qu’il en soit relancé une vieille rumeur pourchassant Jack Lang. Et très vite, sur les réseaux sociaux, des internautes ont retrouvé un long portrait de l’ancien ministre de la Culture réalisé par L’Express en septembre 2005.
Parmi les ragots tenaces à propos de Jack Lang, le journal évoquait "cette affaire de moeurs, suivie d’une exfiltration discrète organisée par l’Elysée". Une information vraisemblablement distillée par les chiraquiens pour gêner Lionel Jospin, qui avait fait de Lang son ministre de l’Education en 2000, lors de la campagne présidentielle de 2002. Aucun fait, aucune preuve n’est jamais venu étayer cette histoire.
Une histoire montée de toutes pièces
Certains journalistes ont pourtant cherché. Dans leur livre consacré à Jack Lang en 2004, Guy Charbonneau et Laurent Guimier ont longuement enquêté sur cette rumeur marocaine. Et ont démontré qu’elle ne reposait sur rien et qu’ "il n’y avait pas le début du commencement d’une preuve qui soit solide."
"Jack Lang est un aimant. Il n’en finit pas d’attirer la limaille de la rumeur", écrivaient pour leur part, en 2006, Christophe Dubois et Christophe Deloire dans Sexus Politicus. Mais pourquoi est-il victime de cette éternelle suspicion?
Il faut remonter à 1977 pour le comprendre, selon ces deux auteurs. A l’époque, alors qu’il dirige le Festival international de Nancy, "le futur ministre signe une pétition étrange qui paraît dans Le Monde. Le texte prend la défense de trois hommes placés en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pour attentat à la pudeur sur des mineurs de moins de quinze ans."
Défenseur des droits des homosexuels, n’hésitant pas à monter sur un char lors de la Gay Pride, Jack Lang a bousculé les codes de la classe politique traditionnelle et certainement subi le contre-coup de ces engagements iconoclastes.
Contacté par LEXPRESS.fr à propos des déclarations de Luc Ferry, Jack Lang n’a pas souhaité réagir.
"La droite se délecte des ragots entourant Jack Lang"
Il est vrai qu’il est désormais habitué: la rumeur sur l’affaire de Marrakech n’a jamais cessé de circuler dans les milieux de droite. Dans son dernier numéro, le Figaro Magazine publiait un entrefilet allusif. Il n’en a pas fallu plus à Luc Ferry, qui succéda à Lang à l’Education nationale en 2002, pour entonner le refrain du "tout le monde savait".
Contactés par nos soins, quatre anciens ministres en poste après mai 2002 affirment n’avoir aucun souvenir de cette information. "Les officiers de sécurité et les chauffeurs restent en poste d’un ministre à l’autre et colportent souvent ce genre de rumeur, mais celle-ci n’est jamais parvenue à mes oreilles", raconte l’un d’eux. Mieux, en entendant cette histoire, un ancien ministre interloqué songeait plutôt à l’un de ses collègues de droite…
"Même si je n’ai jamais entendu parler de cette rumeur, la droite s’est toujours délectée des ragots entourant la personnalité de Jack Lang", confie une ancienne directrice de cabinet, en poste à l’époque. Dès 2005, dans son portrait, L’Express rappelait opportunément qu’ "à part Dominique Baudis, aucun homme politique n’a subi autant de calomnies que lui sur les moeurs"…