Les « gilets jaunes » toujours sans débouché politique

Un an après, les "gilets jaunes" n’ont toujours pas trouvé de débouché politique, en raison de leur refus de la représentation, de leur difficulté à transformer leurs revendications en propositions, et d’une grande défiance vis-à-vis des "autres", avancent des politologues.

Aux élections européennes en mai, les deux listes issues du mouvement de contestation sociale, "Alliance jaune" conduite par le chanteur Francis Lalanne et "Evolution citoyenne" menée par Christophe Chalençon, n’ont recueilli respectivement que 0,54 % et 0,01 % des voix.

Quant aux listes qui avaient intégré en leur sein une ou des figures des "gilets jaunes", aucune n’est parvenue à franchir le seuil des 5 % qui permet d’envoyer un représentant au Parlement européen.

"Très rapidement on voit que les +gilets jaunes+ ne trouvent pas de débouché politique. Des janvier-février, certains disent qu’il faut s’organiser pour les européennes, ça a été tout de suite le tollé", comme autour d’Ingrid Levavasseur, qui a été injuriée et a renoncé à monter une liste, rappelle le politologue Pascal Perrineau.

"Les gilets jaunes refusent la notion même de représentation. Ils sont pris dans une contradiction: ils sont tellement basistes, tellement en faveur d’une démocratie directe, où toute représentation serait une trahison, qu’ils se privent des moyens d’avoir des débouchés politiques", ajoute M. Perrineau, qui va publier en novembre "Le grand écart, chronique d’une démocratie fragmentée" (Plon).

"Tempérament français"

"C’est un très vieux tempérament français qui remonte à la Révolution: on considère que toute souveraineté déléguée n’est pas une souveraineté du peuple", note le spécialiste.

Outre l’aspect organisationnel, le mouvement né d’une protestation contre le prix des carburants qui s’est étendue à des revendications sur le pouvoir d’achat, la justice fiscale ou encore la participation politique, a échoué sur le plan idéologique à "porter un programme qui ferait consensus", ajoute Martial Foucault, directeur du Cevipof.

"Transformer une demande sociale née dans la rue en propositions presque partisanes suppose de maîtriser un certain nombre de codes politiques. Et les +gilets jaunes+ n’ont pas trouvé les personnes pour les accompagner dans cette démarche", explique-t-il.

Ils ont pourtant socialisé sur les ronds-points et pourraient "faire de la politique autrement" que par les urnes, à l’instar des marches pour le climat des jeunes ou de Nuit debout, mais "ça demande beaucoup de maturité et de temps", souligne le politologue.

A défaut d’inventer leur espace, les "gilets jaunes" s’en sont donc "remis à d’autres" partis et c’est le Rassemblement national qui a récupéré électoralement la mise, rappelle M. Perrineau. Sur 100 personnes qui se sentaient proches des "gilets jaunes", 44 ont voté pour le RN aux européennes le 26 mai, selon l’Ifop.

Confiance "très faible"

Martial Foucault, co-auteur de l’essai "Les Origines du populisme" (Seuil, août 2019), a observé pour sa part que les soutiens des "gilets jaunes" qui ont voté RN avaient un niveau de confiance vis-à-vis des autres "très faible", à l’inverse de ceux qui ont voté LFI.

"Quand on n’a pas confiance envers autrui, comment peut-on avoir confiance dans la capacité d’un Etat à redistribuer ? Parce qu’on va dire +ce n’est pas pour nous, c’est pour les autres+", en l’occurrence les immigrés, explique-t-il.

En outre, la répétition des samedis de manifestations, marquées le plus souvent par des violences, ont généré un "phénomène d’usure" et "un effondrement des effectifs", note M. Perrineau, réduisant d’autant la possibilité d’un débouché politique.

Si certains "gilets jaunes" se présentent aux municipales de mars 2020, "ça restera marginal", selon lui.

Francis Lalanne voudrait présenter des listes mais ne sait pas encore dire où ni combien. Il explique son échec aux européennes par "une propagande des médias présentant les +gilets jaunes+ comme des barbares. Ca a créé une peur" au moment du vote, selon lui.

Le "gilet jaune" Jean-François Barnaba, qui avait rallié la liste des Patriotes de Florian Philippot, ancien bras droit de Marine Le Pen, avance que "l’électorat mécontent a voté utile, contre Macron", soit pour la liste du RN au lieu de la sienne.

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