Le déplacement de Sergueï Lavrov et Mikhaïl Fradkov a été annoncé quelques heures à peine avant que la Russie, alliée à la Chine, n’oppose son veto à un projet de résolution qui soutenait l’initiative de la Ligue arabe appelant le président syrien à s’écarter du pouvoir.
Ce double veto a suscité une vague d’indignations en Occident et dans le monde arabe, où ces deux membres permanents du Conseil de sécurité sont accusés d’avoir protégé le régime d’Assad alors que la répression du mouvement de contestation se poursuit en Syrie.
La tâche qui attend Lavrov et le chef des services russes du renseignement étranger est immense: comment utiliser les liens établis de longue date avec le régime syrien pour obtenir assez de résultat et éviter de perdre son plus solide relais d’influence au Moyen-Orient ?
La Russie et la Syrie sont liées en effet par de juteux contrats d’armement estimés à plusieurs milliards de dollars qui alimentent le complexe militaro-industriel russe; la Syrie abrite en outre sur sa côte méditerranéenne la seule base navale russe hors des frontières de l’ex-Union soviétique.
Pour de nombreux analystes, le veto russe s’explique moins par un soutien indéfectible à Assad ou à l’espoir de voir la Syrie revenir à la situation d’avant mars 2011 qu’à la volonté de Vladimir Poutine, qui entend être réélu à la présidence en mars, de démontrer qu’il est prêt à s’opposer aux initiatives occidentales visant à produire des changements politiques dans des Etats souverains et à défendre les intérêts géo-stratégiques de son pays.
En bloquant à deux reprises l’adoption de résolutions condamnant la répression, en octobre puis samedi dernier, en refusant de recevoir des groupes de l’opposition syrienne, la Russie a peut-être dilapidé déjà ses dernières chances d’être acceptée par les adversaires syriens d’Assad.
La mission Lavrov-Fradkov n’est pas sans rappeler de précédentes tentatives russes en Irak, avant l’opération Tempête du désert de 1991 puis en 2003, avant l’intervention américaine fatale à Saddam Hussein, ou à Belgrade, en 1999 en pleine campagne de bombardements de la Serbie par l’Otan.
Aucune de ces initiatives n’a permis d’obtenir des concessions suffisantes pour éviter ou stopper les hostilités.
"L’objectif extrême de la Russie est double: sauver ce qui peut être sauvé d’un naufrage du régime Assad et contenir l’influence occidentale sur son allié le plus important du monde arabe", estime Shashank Joshi, chercheur au Royal United Services Institute, un cercle de réflexion militaire britannique.
Dans la situation présente, où Assad est soumis aux pressions conjuguées des capitales occidentales, de ses pairs arabes et de la contestation, la meilleure carte de la Russie pour préserver son influence pourrait être de rechercher "un démantèlement contrôlé, une transition contrôlée vers un nouveau régime dépouillé d’Assad mais édifié autour des loyalistes de la dynastie Assad", ajoute-t-il.