Des experts de l’ONU soulignent toutefois que l’EI fait face à une forte résistance de la population en Libye.
"L’EI a des visées stratégiques sur la Libye depuis longtemps et on constate désormais que de plus en plus de combattants (…) affluent vers Syrte au lieu de se diriger vers la Syrie", indique à l’AFP Mattia Toaldo, expert au Conseil européen des relations extérieures (ECFR).
Profitant du chaos qui règne dans ce pays avec des combats meurtriers entre milices rivales et deux gouvernements se disputant le pouvoir, le groupe ultra-radical a implanté en février sa base à Syrte, la ville natale du défunt dictateur Mouammar Khadafi, sur le bord de la Méditerranée à 450 km de la capitale Tripoli.
Des responsables de l’armée loyale aux autorités reconnues, basées dans l’est, affirment aussi que la ville est devenue une destination de choix pour de nouvelles recrues.
"Syrte est désormais le centre (…) où les nouvelles recrues sont formées et initiées à l’idéologie de l’EI", a déclaré à l’AFP le commandant Mohamed Hijazi, porte-parole de l’armée du gouvernement reconnu dirigée par le colonel Khalifa Haftar.
"Des centaines de combattants étrangers affluent de Tunisie, du Soudan, du Yémen mais également du Nigeria pour être formés et prêts à mener des attentats dans d’autres pays", affirme un colonel des forces gouvernementales qui a préféré garder l’anonymat.
Une source du ministère libyen des Affaires étrangères évalue "à plusieurs milliers" le nombre des combattants recrutés par l’EI à Syrte, soulignant sa crainte de voir "ce nombre augmenter dans le contexte des pressions que le groupe subit en Syrie et en Irak".
Un autre responsable du gouvernement libyen reconnu indique que "les frappes contre Daech –acronyme en arabe de l’EI– (en Irak et en Syrie) pourraient le pousser à transférer ses chefs et des centres de commandements vers la Libye".
L’ONU évalue le nombre de combattants locaux de l’EI entre 2.000 et 3.000, dont 1.500 à Syrte.
– Tout a changé –
"Tout a changé à Syrte. Les combattants de Daech sillonnent les rues comme s’ils étaient chez eux. Ils vérifient que les gens ne ratent aucune prière, appliquent les lois de la charia et l’on voit rarement des femmes", témoigne un ancien responsable du conseil local de Syrte, réfugié à Misrata (200 km à l’est de Tripoli).
"Lorsqu’on s’approche d’un checkpoint" de l’EI, "on est salué avec un accent soudanais, puis à un autre barrage par un accent tunisien ou des pays du Golfe", a-t-il ajouté.
L’EI tente de donner une image de normalité à Syrte en organisant des reportages sur l’inauguration de nouvelles pâtisseries ou boucheries mais elle diffuse également des vidéos sur des amputations de mains pour rappeler sa présence impitoyable.
"Tant que le conflit continue en Libye, l’EI sera capable de maintenir une présence si importante en Libye qu’elle pourra soutenir ses branches dans toute la région", souligne la société d’analyse de risques britannique Verisk Maplecroft dans une étude publiée mercredi.
A Paris, le Premier ministre français Manuel Valls a averti mardi que la Libye serait "incontestablement le grand dossier des mois qui viennent".
Ancienne puissance coloniale, l’Italie a annoncé mercredi la tenue d’une conférence internationale sur la Libye le 13 décembre à Rome, afin d’éviter la "désagrégation totale du pays et stopper l’avancée" de l’EI.
Mais pour l’instant aucune solution politique n’est en vue pour mettre fin au conflit. Les pourparlers pour former un gouvernement d’unité nationale menés sous l’égide de l’ONU ont échoué et n’ont pas repris.
Le groupe jihadiste tente donc d’élargir sa zone d’influence notamment vers Ajdabiya. Contrôlée par des milices armées loyales au gouvernement reconnu, la ville est située à quelque 350 km de Syrte et à 190 km de Benghazi, dans une zone où se concentre la plupart des gisements et terminaux pétroliers et gaziers.
L’EI se bat aussi dans certains quartiers des villes de Derna et Benghazi.
L’EI est "une menace évidente à court et long terme en Libye", ont reconnu des experts de l’ONU dans un rapport publié mardi. Mais il "fait face à une forte résistance de la population ainsi qu’à des difficultés à bâtir et entretenir des alliances locales", ont-ils souligné.