Immigration : « C’est la France qui assimile le mieux »

L’historien Patrick Weil, auteur de Etre Français, les quatre piliers de la nationalité (éditions de l’Aube, 2011), réagit pour leJDD.fr à la publication mardi par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant d’une tribune défendant l’assimilation des immigrés. L’occasion pour le chercheur de contester avec virulence les dernières incursions du ministre sur le terrain de l’immigration.

Immigration :
Dans une tribune publiée dans Le Monde, Claude Guéant défend le principe d’assimilation "pour ceux qui arrivent dans notre pays avec la volonté de s’y établir durablement", qu’il oppose à l’intégration, destinée aux personnes qui "ne projettent pas de rester en France". Vous partagez cette distinction?

Les immigrés aspirent pour la plupart à l’assimilation, c’est-à-dire à un traitement semblable, similaire, et c’est le ministre Guéant qui viole tous les jours ce principe d’assimilation. Il ne cesse de proférer des distinctions entre Français, selon qu’ils sont musulmans ou qu’ils ne le sont pas, contraires à l’article 1er de notre Constitution. Il inspire une réforme de la naturalisation qui permet des traitements différenciés des dossiers selon les préfectures. Il n’intervient pas quand des policiers effectuent -les études le montrent- dix fois plus de contrôles d’identité sur des personnes de couleur que sur des personnes blanches. Le principe d’assimilation, les immigrés dans leur grande majorité y adhèrent dans tous les domaines où l’on peut aspirer à être semblables, c’est-à-dire les grands principes de la République. Monsieur Guéant manipule un mot dont il ne respecte pas le sens dans sa pratique.

Dans cette même tribune, Claude Guéant affirme que "le modèle français est à l’opposé de la conception communautariste". N’est-ce pas là un revirement pour ce proche de Nicolas Sarkozy?

C’est exact, c’est parce que le communautarisme n’a jamais été pratiqué par la France qu’elle n’a pas à rompre avec lui! Mais monsieur Guéant est devenu le spécialiste de la rupture avec sa propre pratique. Il a par exemple annoncé la baisse de l’immigration de travail alors que c’est Nicolas Sarkozy qui avait annoncé son développement. Quant au communautarisme, qu’est-ce que c’est? C’est le fait de placer au dessus des lois de la République, les lois d’un groupe. Ça existe, ce sont des pratiques illégales, par exemple des mariages qui n’ont pas lieu à la mairie, qui doivent être sanctionnés. Mais vivre avec des gens avec qui on a envie ou avec qui on est forcé d’habiter, ça n’est pas du communautarisme! Si des Corréziens ou des Corses veulent habiter à Paris ensemble, c’est leur droit. Ça n’est pas un délit! Le ministre de l’Intérieur est chargé d’appliquer les lois, qu’il s’en contente.

Le ministre constate aussi un échec de la politique d’intégration, arguant que plus de 23% des immigrés hors Union européenne ne trouvent pas d’emploi. "La France n’a pas vocation à accueillir des étrangers pour en faire des chômeurs", dit-il. Ce raisonnement peut paraître logique, non?

Le chômage existe en France de façon structurelle depuis plus de 30 ans. Il est exact que la République française a dû intégrer des immigrés venus dans la période antérieure alors que le marché du travail s’est mis à fonctionner très mal, et même plus mal pour les immigrés. Non pas parce qu’ils ont des défauts particuliers, mais parce que lorsque le travail est rare, les gens qui sont déjà installés dans la société, qui ont des réseaux, trouvent plus facilement du travail. J’ajoute qu’un certain nombre d’immigrés peuvent subir des discriminations. Mais malgré cela, il faut quand même mesurer les parcours exceptionnels de nombre d’immigrés et d’enfants d’immigrés. Vous me dites 23%, ça veut donc dire que 77% sont au travail. On peut retourner ces chiffres.

Récemment, le ministre évoquait l’échec scolaire des enfants d’immigrés…

Et il ne parle pas des magnifiques réussites! Il y a des échecs, mais la majeure partie réussit à partir de conditions sociales très difficiles. Leurs parents que les grandes entreprises françaises ont fait venir avaient souvent très peu d’éducation. Les institutions de la République, et notamment l’école, ont en réalité fait un travail tout à fait remarquable qu’on nous envie.Quand le président de la République stigmatise les immigrés venus depuis cinquante ans en France et leurs enfants, il divise la société française et freine l’assimilation. Quand il supprime la carte scolaire, il ne facilite pas le travail des instituteurs. Malgré tout, la société française continue d’intégrer et d’assimiler, et de résister au climat de tension volontairement créé par les plus hautes autorités de l’Etat.

Le gouvernement n’insiste pas assez sur ce qui fonctionne, selon vous?

Tous les sondages montrent que dans une situation européenne très difficile, c’est la France qui assimile culturellement le mieux. Ils pourraient en être fiers. Ils pourraient mobiliser positivement les Français autour des principes de laïcité, d’égalité qui sont, avec la mémoire positive de notre révolution, les piliers de notre République, qui nous rassemblent. Au contraire, ils les utilisent pour nous diviser. Monsieur Guéant et son patron, Nicolas Sarkozy, ne cessent de taper sur la France, sur son histoire, sur ses traditions, sur ses valeurs et ses principes fondateurs, ils ne cessent de nous rabougrir, de nous déprimer. J’en suis venu à me dire que la très grande majorité des Français et des immigrés que ce Président et son ministre de l’Intérieur ne cessent d’attaquer connaissent mieux et aiment mieux les piliers de la République que Nicolas Sarkozy qui semble éprouver un certain malaise à leur égard.

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