«En Syrie, le mouvement pacifique est terminé»

Réfugié au Liban, l’imam salafiste de Deraa se présente comme le premier religieux à avoir appelé au renversement de Bachar al-Assad. Cheikh Louai al-Zouabi redoute une guerre civile entre communautés :

«En Syrie, le mouvement pacifique est terminé»
C’est dans un village du Akkar, une région pauvre du nord du Liban, à proximité de la frontière syrienne, que se cache cheikh Louai al-Zouabi, imam de la prière du vendredi de la ville de Deraa, où a commencé l’insurrection syrienne, emprisonné pendant six ans (1993-1998) par le régime syrien, il se revendique comme le premier religieux à avoir appelé publiquement au renversement de Bachar al-Assad. Secrétaire général du mouvement salafiste al-Mu’minin Yousharikoun («les croyants participent»), ce religieux, âgé d’une quarantaine d’années, qui a séjourné en Afghanistan et en Bosnie, affirme incarner une tendance moderniste au sein de ce courant particulièrement radical qui prône un retour à l’islam des origines (salaf signifiant «les pieux ancêtres») et défendre des idées de tolérance au sein d’un courant qui ignore jusqu’à ce mot.

Comment a commencé l’intifada dans la ville de Deraa ?

Par l’arrestation et la torture d’une douzaine d’enfants – le plus âgé avait 12 ans – qui avaient écrit sur les murs : «Le peuple veut faire tomber le gouverneur». Leurs pères ont ensuite voulu négocier leur libération avec les forces de sécurité. Ils se sont entendus dire : «Si vous revenez, on va vous arrêter et obliger vos femmes à venir nous baiser les pieds.» Une avocate, qui voulait défendre les enfants, a été emprisonnée et ils lui ont rasé la tête, ce qui est plus inacceptable que de la tuer. C’est ce qui a fait descendre les gens dans la rue, le 20 mars. On a tiré sur eux, y compris depuis un hélicoptère. Six personnes ont été tuées. Et si on a libéré les enfants, on a arrêté ceux qui manifestaient. C’est ce qui a fait éclater l’insurrection. J’ai alors publié une fatwa sur Internet appelant les Syriens à protester. C’était une fatwa pacifique interdisant aux manifestants de tuer les gens des services de sécurité et vice-versa. Mon but était d’amplifier la révolution de façon pacifique. Mais quand le régime a commencé de façon systématique à tuer les gens, j’ai promulgué une seconde fatwa permettant à l’Armée libre syrienne [l’ALS, ndlr] de protéger les civils.

Aujourd’hui, la guerre est à Homs. Le régime peut-il reprendre la ville ?

Le régime a certes l’intention de régler militairement et de façon définitive la révolution mais contrôler tout Homs, c’est impossible. Actuellement, la révolution maîtrise 70% du territoire syrien la nuit et, selon les activités des révolutionnaires, de 20 à 40% le jour. Ce qui demeure une énigme pour le régime, c’est que l’ASL n’a pas de base fixe. Donc, dès que les forces de sécurité voient un combattant de l’ASL traverser un quartier, elles bombardent toute la zone.

Existe-t-il un risque de guerre civile ? Je crains cette guerre civile. Ici, au Liban, quand on parle des chiites, on a l’impression que ceux-ci se réduisent au Hezbollah. C’est la même chose en Syrie. Quand on parle des alaouites, on a l’impression qu’ils sont tous avec le régime. Mais beaucoup, parmi la société alaouite, ont de bonnes raisons de participer à la révolution. C’est vrai aussi que le régime a commencé à renforcer cette minorité. A Homs, ils ont reçu des armes, comme les alaouites qui vivent dans les autres régions. A présent, on peut dire que chaque alaouite est mieux armé qu’un soldat de l’armée nationale. Ainsi, les événements vont de telle façon qu’on a l’impression que tous les alaouites sont avec le régime.

Si le pouvoir reprend Homs, la révolution est-elle menacée ?

Cela pourrait affaiblir le mouvement pendant une certaine période et le peuple va en souffrir. Mais ce que je crains surtout, c’est que le régime en profite pour ouvrir un front avec Israël, avec l’aide de l’Iran. Pour un régime créé par la Stasi [la police politique allemande, qui a formé les services secrets syriens], une fuite en avant qui ferait exploser la région n’est pas inconcevable. C’est la guerre de 1973 [contre Israël], qui a permis au père de Bachar [Hafez al-Assad] de gouverner la Syrie pendant si longtemps. Pourtant, cette guerre, il l’avait perdue mais il a su négocier. Si on en arrivait à cette fuite en avant, cela provoquerait une guerre régionale.

Vous qui êtes salafiste, êtes-vous favorable à une intervention occidentale ? Nous souhaitons un soutien international à la révolution.Y compris armé ?

Bien sûr ! Car, maintenant, le mouvement pacifique est terminé. Nous avons la capacité humaine de combattre, mais ce qui nous manque, ce sont des armes, du matériel, de la logistique et je veux transmettre ici une idée essentielle à l’Occident : une fois que la révolution aura gagné, nous respecterons les conventions internationales et voudrons avoir de très bonnes relations avec la communauté internationale. Il faut que l’Occident négocie avec l’opposition qui est sur le terrain et dans le combat effectif. Pas avec ceux qui ont des cravates [le Conseil national syrien, qui représente les principales formations d’opposition, ndlr] et dont l’influence est limitée. Moi, je suis en communication avec 70% des leaders du terrain, qu’ils soient islamistes, laïcs, druzes…

Et si l’Occident veut vérifier ce que je représente militairement, je suis prêt à faire exécuter des opérations militaires en des endroits déterminés à l’avance. Cette révolution est forte parce qu’elle est populaire, qu’elle englobe toutes les composantes du pays, pas seulement les islamistes. Il y a un risque que le monde extérieur comprenne de façon incorrecte notre révolution, qu’il croie qu’elle est islamiste. C’est pourquoi je me suis senti le devoir de venir expliquer ce qui se passe en Syrie et dissiper tout malentendu. En Egypte, les salafistes ne veulent pas que les chrétiens bâtissent ou réparent des églises… Mon islam m’oblige non seulement à permettre leur construction, mais à y participer, même si je dois porter les pierres sur mes épaules. Notre ennemi est celui qui est injuste, pas celui avec lequel on est en désaccord. C’est une révolution dans le salafisme. Pour la première fois, un cheikh salafiste veut que la reconnaissance de l’autre se fasse indifféremment de sa religion, de ses opinions politiques, de ses origines, et accepte non seulement de reconnaître ses différences mais de les accepter. Je n’ai pas d’objection à ce que la Syrie ait un président chrétien, druze ou alaouite, à condition qu’il établisse la justice.

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