Cette frappe a été décidée par le président américain Donald Trump, qui a lui-même donné l’ordre de "tuer" Soleimani, un dirigeant des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique de la République islamique, selon le Pentagone.
Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires majoritairement pro-Iran désormais intégrés à l’Etat irakien, est également mort dans ce bombardement.
Il s’agit de "la plus importante opération de +décapitation+ jamais menée par les Etats-Unis, plus que celles ayant tué Abou Bakr al-Baghdadi ou Oussama Ben Laden", les chefs des groupes Etat islamique (EI) et Al-Qaïda, a dit Phillip Smyth, spécialiste américain des groupes chiites armés.
Aussitôt, le président iranien Hassan Rohani a promis que "l’Iran et les autres nations libres de la région" prendraient "leur revanche sur l’Amérique criminelle pour cet horrible meurtre". Téhéran a convoqué le responsable de l’ambassade suisse, qui représente les intérêts américains, pour dénoncer le "terrorisme d’Etat de l’Amérique".
L’assassinat ciblé de Soleimani va "enclencher une guerre dévastatrice en Irak", a prédit le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi.
Dans ce contexte, les Etats-Unis ont appelé leurs ressortissants à quitter l’Irak "immédiatement", tandis que le turbulent leader chiite irakien, Moqtada Sadr, a réactivé sa milice anti-Américains, l’Armée du Mehdi, ordonnant à ses combattants de "se tenir prêts".
Depuis des années, Bagdad est pris en étau entre ses deux grands alliés, américain et iranien –eux-mêmes au coeur de tensions grandissantes sur le dossier du nucléaire– et la mort du général Soleimani laisse craindre un conflit ouvert entre les deux pays.
La frappe américaine intervient après l’assaut mardi de l’ambassade américaine à Bagdad par des milliers de partisans du Hachd, une démonstration de force inédite qui a ravivé pour Washington le traumatisme de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979.
"Les renseignements américains suivaient Qassem (Soleimani) depuis des années, mais ils n’ont jamais appuyé sur la détente. Lui le savait mais n’a pas mesuré à quel point ses menaces de créer une autre crise des otages à l’ambassade (à Bagdad) changerait la vision des choses", a expliqué à l’AFP Ramzy Mardini, de l’Institut of Peace.
"Trump a changé les règles en l’éliminant", a-t-il ajouté.
– "Ordre de tuer" –
Le raid américain a visé avant l’aube un convoi de véhicules dans l’enceinte de l’aéroport de Bagdad, tuant au moins neuf personnes au total, selon des responsables des services de sécurité irakiens.
Outre le général Soleimani, l’autre grande figure tuée est Abou Mehdi al-Mouhandis, véritable chef opérationnel du Hachd al-Chaabi et lieutenant du général pour l’Irak depuis des décennies. Tous deux sous sanctions américaines, ils seront enterrés samedi. Alors que trois jours de deuil ont été déclarés en Iran, le Parlement irakien se réunira ce même jour pour déterminer la position du pays à la lumière de ce coup de tonnerre.
"Sur ordre du président, l’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger en tuant Qassem Soleimani", a indiqué le Pentagone dans un communiqué.
L’ambassadeur iranien à Bagdad a déroulé le fil des événements sur la télévision d’Etat: "A 01H00 (minuit GMT), deux véhicules transportant les martyrs Soleimani et Abou al-Mouhandis ont été attaqués par des missiles des forces américaines et tous les passagers, soit 10 personnes, des camarades et des gardes du corps, sont devenus martyrs."
Cette frappe américaine intervient à la suite d’attaques à la roquette contre ses diplomates et ses soldats. Non revendiquées, elles ont tué le 27 décembre un sous-traitant américain et ont été attribuées par Washington aux forces pro-Iran en Irak.
Le 29 décembre, Washington avait rétorqué en bombardant une base près de la frontière syrienne, faisant 25 morts.
A moins d’un an de la présidentielle américaine et alors que le Congrès américain n’a pas été notifié en amont du raid selon un élu démocrate, les réactions ont divergé à Washington.
L’influent sénateur républicain Lindsey Graham, proche allié de M. Trump a menacé l’Iran: "si vous en voulez plus, vous en aurez plus".
Mais la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a estimé que "l’Amérique –et le monde–" ne pouvaient "se permettre une escalade" qui atteindrait "un point de non-retour".
Le raid américain va "accroître les tensions", a jugé Moscou, tandis que Pékin a appelé au "calme". Damas a dénoncé une "lâche agression américaine".
Vers 07H40 GMT, les cours du pétrole bondissait en raison des risques de conflit au Moyen-Orient. Des experts craignent aussi un isolement diplomatique de l’Irak, deuxième producteur de l’Opep, voire des sanctions politiques et économiques contre le pays.
En renversant en 2003 le régime de Saddam Hussein, les Etats-Unis avaient pris la haute main sur les affaires irakiennes. Mais le système qu’ils ont mis en place est désormais noyauté par Téhéran et des mouvements pro-Iran.
Ceux-ci ont assemblé un arsenal inégalé grâce à Téhéran et au fil d’années de combat contre l’EI.
– "Se tenir prêts" –
Si le Hachd a combattu à partir de 2014 aux côtés des troupes irakiennes et de la coalition internationale antijihadistes emmenée par Washington, certaines de ses factions sont désormais considérées par les Américains comme une menace plus importante que l’EI.
Les frappes de vendredi rendent plus réelle la menace pesant depuis des mois sur l’Irak: que son sol se transforme en champ de bataille par procuration pour Téhéran et Washington.
Sur la place Tahrir à Bagdad, épicentre d’un mouvement antigouvernemental secouant depuis plus de trois mois le pays, des dizaines d’Irakiens se sont félicités de la mort de Soleimani, et le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a partagé sur Twitter une vidéo les montrant "dansant pour la liberté".