Baudis à atlasinfo: La contribution de l’ensemble des pays arabes ne dépasse pas 10% du budget de l’IMA
Président de l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris depuis novembre 2007, Dominique Baudis, écrivain-journaliste, député européen, ancien député-maire et ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), évoque sa mission à la tête de cette institution culturelle, dont le rôle est de nouer un dialogue permanent entre les différentes civilisations du bassin méditerranéen, d’apprendre à connaître l’autre et à le respecter.
-M. Baudis : Je peux vous rassurer que la santé financière de l’Institut est rétablie. Nous avons réussi à mener une opération de redressement assez spectaculaire. Après vingt ans de déficits et de dettes, l’IMA a réussi à trouver son équilibre financier et nous avons même dégagé un excédent qui nous a permis de rembourser une partie de notre dette. Je voudrais à ce titre préciser que la contribution financière de l’ensemble des Etats arabes au sein de l’IMA, ne dépasse pas 10% (1,5 millions d’euros). Certains règlent leur quote-part d’une manière très irrégulière, d’autres comme le Maroc, le font régulièrement, et il y a même des pays qui, en plus de leur quote-part, font des donations pour un objectif précis, comme l’Arabie Saoudite et le Koweït qui ont versé un million d’euros chacun, pour la modernisation du Musée.
-Atlsinfo : Avez-vous engagé des démarches auprès des pays qui ne régularisent pas leur situation?
-M. Baudis : Aujourd’hui, il n’y a plus d’obstacle politique entre l’Irak et la France ou entre la Libye et la France pour la reprise des paiements. J’ai demandé aux responsables de ces deux pays de régulariser leur situation et ils s’y sont engagés. J’ai signé une convention avec les autorités libyennes qui prévoit un versement de 10 millions d’euros sur plusieurs échéances. Elles nous ont versé déjà une bonne partie. J’ai également approché les autorités irakiennes et Yéménites.
-Atlasinfo : Et la contribution française qui n’a pas bougé depuis 20 ans?
-M. Baudis. J’ai obtenu depuis mon arrivée que l’Etat français augmente sa contribution qui est passée de 9 à 12 millions d’euros. On a également renforcé les recettes de l’Institut liées aux manifestations de très haute facture
-Atlasinfo : Vous entendez par là, les grandes expositions?
-M. Baudis : Exactement. Des expositions représentant des offres culturelles d’une exceptionnelle richesse, comme celle organisée sur Bonaparte et l’Egypte qui a drainé plus de 200.000 visiteurs. On a préparé cette exposition ensemble, moitié Egyptiens et moitié Français. Le catalogue des articles a été écrit par des historiens, philosophes, journalistes et universitaires des deux pays. Donc c’est un épisode de l’histoire commune qui a été raconté à deux voix. Ce n’est pas la France qui raconte aux égyptiens leur histoire, mais les égyptiens et les français qui travaillent et qui réfléchissent ensemble pour présenter au public cet événement illustrant le rôle qui est le notre : essayer de dialoguer et de se respecter mutuellement.
-Atlasinfo : l’IMA ambitionne de s’imposer comme le premier lieu interculturel de France. Est-ce possible?
-M. Baudis : L’institut a effectivement cette vocation d’être un grand lieu interculturel. Il représente pour moi et pour beaucoup de Français, un lieu où on peut mieux comprendre la culture et la civilisation des différents pays du monde arabe. Nous sommes des voisins qui ont une longue histoire commune, et la mission de l’IMA est de faire de cette option un atout au service de la compréhension entre les peuples. Il y a deux voies qui s’offrent à nous dans l’avenir : l’une mène à la catastrophe et c’est ce qu’on appelle le choc des civilisations, et la seule alternative pour éviter ce choc des civilisations que moi j’appelle le choc des ignorances, c’est le dialogue interculturel. L’IMA c’est aussi la valorisation de la diversité culturelle. Les populations issues de la diversité peuvent très bien s’instruire de la civilisation dont-elles sont héritières. C’est une preuve de la reconnaissance mutuelle et de la valorisation de la diversité dans la société française. Encore faut-il reconnaître que même si les civilisations méditerranéennes se sont parfois combattues ou affrontées, elles se sont influencées mutuellement et ça a donné, non pas une culture méditerranéenne, mais des cultures méditerranéennes qui se sont inspirées les unes des autres.
-Atlasinfo : Vous êtes le premier à exporter quelques unes des grandes expositions vers d’autres lieux. S’agit-il d’un premier pas vers des antennes IMA en France et dans les pays arabes ou d’une simple décentralisation culturelle à objectif limité?
-M. Baudis : Parmi les priorités que je me suis fixées depuis mon arrivée à l’IMA, la décentralisation de l’activité de l’institut. Jusqu’à maintenant toutes les activités du monde arabe étaient au sein de l’Institut. Aujourd’hui les expositions qu’abrite à l’IMA, sont présentées quelques semaines après, à l’extérieur. On a présenté l’exposition de Bonaparte et l’Egypte, au Pas-de-Calais (Nord de la France), et ‘’l’âge d’or des sciences arabes’’, à Toulouse, Alger et Damas.
-Atlasinfo : Le cinéma suivra certainement la même voie..
-M. Baudis : Pour ce qui est du cinéma, l’institut du monde arabe a ouvert la voie en organisant une biennale du cinéma arabe. Le but était de créer un festival du cinéma arabe qui n’existait dans aucun pays arabe à l’époque. Maintenant que plusieurs pays arabes ont aujourd’hui leur festival, l’Institut compte nouer des partenariats avec un, deux ou trois festivals, de telle sorte que quand ces festivals auront fait leur palmarès, ils viendront le présenter à l’IMA qui deviendra en quelque sorte la vitrine des festivals du cinéma arabe. Plutôt que d’être en concurrence avec les autres festivals, je préfère faire ce qu’on appelle « le festival des festivals ».
-Atlasinfo : Et pour les autres activités?
-M. Baudis : Elles sont très variées à l’Institut: la bibliothèque, avec ses fonds sur le monde arabe et l’islam, est l’une des plus riches de France. On trouve dans son rayon «Revues» la plupart des publications du monde arabo-musulman. L’activité musique est très développée à l’Institut. Elle a permis, à l’instar d’autres formes d’expression artistique, d’aider de jeunes talents issus de la diversité à entrer en contact avec le public. Jamel Debbouz et Faudel ont fait leur première scène à l’IMA. Le centre de langue et de civilisation offre, quant à lui, un enseignement de la langue et de la civilisation arabe unique à Paris, des méthodes propres à l’Institut ont été élaborées par une équipe pédagogique détachée par le ministère de l’Education nationale. On a un millier d’élèves qui viennent apprendre la langue arabe par des professeurs de l’éducation nationale qui sont agrégés, certifiés et diplômés des Universités de France d’origine arabe ou autre. Les cours sont donnés en petits groupes de 6 à 10 personnes, dont l’âge s’étend de ‘’7 ans à 77 ans’’ ( élèves, étudiants, retraités…). L’IMA, c’est aussi un centre cinématographique spécialisé dans le monde arabe où des films classiques et porteurs de sens sont régulièrement projetés et des Cafés littéraires qui offrent chaque semaine l’opportunité de s’échanger et de se connaître mutuellement.
Propos recueillis par Anas Bachir