Algérie: Quand la maladie du Président perturbe le protocole d’arrivée des ambassadeurs

La maladie de Bouteflika et la diminution de son activité présidentielle a perturbé ces dernières années un aspect particulier du fonctionnement de la diplomatie algérienne, à savoir le protocole autour de l’arrivée des nouveaux ambassadeurs en Algérie.

La convention de Vienne

La convention de Vienne, qui régit les règles de la diplomatie internationale, stipule que « le chef de mission est réputé avoir assumé ses fonctions dans l’État accréditaire dès qu’il a présenté ses lettres de créance ». Le chef d’État occupe un rôle central dans la prise de fonction de l’ambassadeur, étant donné que ce dernier est le représentant du chef de l’État auprès du chef d’un autre État.

À défaut, la convention de Vienne prévoit que l’ambassadeur est réputé avoir assumé ses fonctions « dès qu’il a notifié son arrivée et qu’une copie figurée de ses lettres de créance a été présentée au ministère des Affaires étrangères de l’État accréditaire ». L’ambassadeur peut donc techniquement prendre ainsi ses fonctions en déposant « une copie figurée » de sa lettre de créance auprès du ministre des Affaires étrangères. Sur le plan protocolaire cependant, dans un domaine aussi scrupuleux des règles que peut l’être la diplomatie, la cérémonie de réception de la lettre de créance par le chef de l’État revêt une grande importance.

Depuis son accident vasculaire cérébral en 2013 et sa très longue convalescence ayant suivi, la santé précaire du président Bouteflika a rendu impossible d’organiser de manière régulière des cérémonies de réception de lettres de créances. Ainsi, plusieurs ambassadeurs ont dû patienter plusieurs mois avant d’être reçus par le président Bouteflika, et plusieurs exemples marquants en attestent.

Haroun Brahim été nommé ambassadeur du Tchad le 5 mai 2016, et il lui a fallu attendre le 26 octobre de la même année pour remettre ses lettres de créances l’accréditant en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Tchad en Algérie au président Bouteflika, soit près de six mois plus tard. L’ambassadeur d’Éthiopie à Alger, Solomon Abebe Tessema, a pour sa part dû attendre dix mois et un jour entre le moment où il a obtenu son agrément de la part du ministère des Affaires étrangères (le 24 décembre 2015), et le moment où il a remis au président Bouteflika ses lettres de créances, chose faite le 25 octobre de l’année suivante.

Plus de trois ans d’attente…

L’ambassadeur du Burkina Faso, Dominique Djindjere, a été nommé à son poste le 10 juillet 2013, mais n’a cependant pu remettre ses lettres de créances au président Bouteflika que le 25 octobre 2016, plus de trois ans plus tard. L’Indonésienne Safira Machrusah a reçu l’agrément du ministère des Affaires étrangères le 7 janvier 2016. Il a cependant fallu attendre le 25 octobre de la même année pour qu’elle soit reçue par le président Bouteflika et lui remettre ses lettres de créances l’accréditant en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République d’Indonésie en Algérie. L’ambassadeur (en partance) du Royaume-Uni, Andrew Noble, avait obtenu son agrément du ministère des Affaires étrangères le 26 janvier 2014. Il n’avait cependant remis ses lettres de créances au président Bouteflika que le 28 octobre de la même année, plus de neuf mois plus tard.

« Tant que la présentation des lettres de créance au chef d’État n’a pas eu lieu, l’ambassadeur désigné doit se considérer comme incognito (a non-person en anglais), c’est-à-dire qu’il ne pourra effectuer de visites aux autorités nationales, ni assister à des manifestations publiques dans l’exercice d’une fonction qui n’est pas encore reconnue par l’État hôte », affirme La Lettre Diplomatique, revue spécialisée en relations internationales.

Mais la santé du président Bouteflika a tant décliné ces derniers mois que ce dernier ne semble plus être en mesure de recevoir les lettres de créances, la dernière cérémonie de réception datant du mois d’octobre 2016. Pour contourner cette règle et permettre aux ambassadeurs de travailler, les autorités algériennes ont ainsi été contraintes de demander aux nouveaux ambassadeurs de remettre les copies figurées des lettres de créances les accréditant en qualité d’ambassadeur au ministre des Affaires étrangères.

Cela a par exemple été le cas du nouvel ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui a été reçu par le ministre Abdelkader Messahel le 6 juillet dernier et à qui il a remis les copies figurées des lettres de créances. Nommé en tant qu’ambassadeur de Pologne en Algérie en juin 2016, Witold Spirydowicz avait remis les copies figurées des lettres de créances au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ramtane Lamamra, en septembre 2016. Faute de pouvoir être reçu par le Président, l’ambassadeur des Pays-Bas Robert Van Embden a lui également dû se contenter de remettre les copies figurées des lettres de créances au ministre des Affaires étrangères au mois de septembre 2016. Les vraies lettres de créances, celles signées par les chefs d’État, dorment dans les coffres de ces ambassades.

La décision de privilégier la remise de copies figurées des lettres de créances n’est cependant pas sans risque d’un point de vue diplomatique. Les ambassadeurs de Pologne et des Pays-Bas ont remis les copies figurées des lettres de créances en septembre 2016. Un mois plus tard, à la fin octobre, le président Bouteflika semble à l’évidence avoir trouvé les ressources pour recevoir les lettres de créances des ambassadeurs d’Indonésie, du Burkina Faso, d’Éthiopie, du Tchad, d’Irak et du Pakistan.

Cet état de flottement subi du fait de la maladie du président Bouteflika peut très vraisemblablement avoir laissé de manière involontaire l’impression d’une diplomatie à deux vitesses où l’honneur d’être reçu par le Président n’est accordé qu’à une catégorie de pays privilégiés au détriment de relations avec d’autres pays. Quelle qu’en soit la lecture effectuée par les ambassades étrangères, il est difficilement imaginable que l’image de l’Algérie soit autre chose qu’affectée de manière négative par cette situation.


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