Agnès Buzyn, la femme politique s’éveille

Presque inconnue en 2017, Agnès Buzyn s’est affirmée en trois ans au gouvernement comme une figure du macronisme, même si elle quitte le ministère de la Santé empêtrée dans une crise inédite à l’hôpital et vierge de toute expérience électorale.

Cette médecin spécialiste des leucémies et de la greffe de moelle a annoncé dimanche à l’AFP qu’elle succédait à Benjamin Griveaux dans la course à la mairie de Paris.

Personne n’avait vu venir cette femme réservée à l’allure soignée de bonne élève, dont la voix fragile cache une fermeté parfois trahie par un regard bleu acier.

Qui aurait parié sur cette technicienne sans expérience politique ?

Son parcours, pourtant, témoigne d’une ambition certaine: chef de l’unité de soins intensifs d’hématologie de l’hôpital Necker à 30 ans, nommée à la tête de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire à 45, de l’Institut national du cancer à 48, de la Haute autorité de santé à 53, et enfin ministre à 54.

« L’aboutissement de toute ma carrière professionnelle », reconnaît l’intéressée.

Propulsée dans la lumière, elle s’impose d’abord comme ministre de la santé publique, avec des choix emblématiques sur le tabac et les vaccins. Récemment, l’irruption de l’épidémie de coronavirus l’a placée en première ligne, cherchant à apaiser les peurs tout en restant transparente sur la réalité de la situation sanitaire.

Portée par « l’illusion que le rationnel scientifique peut suffire à faire prendre les bonnes décisions », elle a dû néanmoins en rabattre face aux lobbies de l’alcool quand Emmanuel Macron affirme « boire du vin le midi et le soir ».

Quand Yves Levy, son mari et père de son troisième fils, spécialiste du Sida, a voulu se maintenir à la tête de l’Inserm en 2018 -avant de renoncer-, elle s’est défendue des soupçons de conflit d’intérêts d’un abrupt: « Ca ne me regarde pas ».

« La politique, c’est violent, parfois douloureux », concède-t-elle « mais quand on a dû annoncer des diagnostics épouvantables à des familles, à des enfants, c’est quand même beaucoup moins grave ».

Beaucoup moins lourd, aussi, que le poids de l’histoire d’une famille de juifs polonais rescapés de la Shoah.

Celle de la mère, Etty, cachée par une famille de Justes durant l’Occupation, devenue une psychanalyste de renom.

Celle du père, Elie, survivant de l’enfer d’Auschwitz, devenu chirurgien orthopédique.

« Quand des gens ont enduré ce qu’ils ont enduré, ça donne une autre échelle des valeurs », explique-t-elle. La preuve, « quand ça va mal, je dis toujours à mes équipes +Est-ce que quelqu’un va mourir à la fin ?+ ».

« Je n’ai peur de rien »

Le cuir s’est encore endurci au contact de Simone Veil, dont elle épousa le fils Pierre-François, avec qui elle eut ses deux premiers fils.

« Je l’ai connue jeune, lorsque j’étais encore étudiante, et j’avais pour elle une immense admiration », confessait-elle à l’été 2018, lors de l’entrée de la grande dame au Panthéon.

Elle évoquait alors « un passage de relais » avec l’icône du droit à l’avortement, ministre de la Santé à deux reprises et première présidente du Parlement européen.

La tentation de Bruxelles avait d’ailleurs été très forte en 2019. « Elle a été approchée par plein de gens, ça a résonné par rapport à son histoire et à ses convictions », raconte un haut fonctionnaire.

Mais, en plein vote de la loi santé, « ça aurait été un énorme gâchis de changer de ministre », d’autant qu’elle a « une forte crédibilité dans le secteur ».

Un sentiment moins partagé à la base du système hospitalier où les infirmières gardent en travers de la gorge quelques attitudes qualifiées de « mépris de classe »: des yeux levés au ciel, un rictus lors d’une visite à Rouen…

« La seule chose qu’elle veut elle c’est passer pour quelqu’un qui a sauvé l’hopital public, elle veut pas qu’on porte atteinte à son image, elle y tient vraiment », décrit Hugo Huon, président du collectif Inter-Urgences, qui mène une grève depuis près d’un an maintenant.

Interrogée il y a quelque mois sur ses éventuelles inquiétudes à cumuler des dossiers (retraites, bioéthique, dépendance…), elle répondait n’avoir « pas peur. En fait, je n’ai peur de rien ».

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