Affaire Brahim Ghali : le faux pas du régime socialiste espagnol
Selon Aristote, « la surprise est l’épreuve du vrai courage ». La révélation par la presse de la présence en Espagne de Brahim Ghali, chef des séparatistes du Sahara marocain, crée la stupeur dans les relations amicales du Maroc avec les autorités du gouvernement socialo-gauchiste espagnol. Ces dernières feront-elles preuve de courage ?
Le 21 avril, le chef du Polisario, atteint d’un cancer et contaminé par le coronavirus, a été hospitalisé pour de graves difficultés respiratoires à Logrono, près de Saragosse. Cette présence suscite la perplexité, voire l’embarras. Le Président de la fantoche République saharaouie est entré en Espagne, muni d’un passeport diplomatique algérien, sous la fausse identité de Mohamed Benbatouche.
Son arrivée aurait été négociée « au plus haut niveau » entre les Etats algérien et espagnol et justifiée « par de strictes raisons humanitaires ». La discrétion s’imposait pour ne pas heurter le Royaume du Maroc, ni ulcérer les victimes du front Polisario et leurs familles. En effet, depuis 2012, des particuliers et plusieurs associations dont l’association canarienne des victimes du terrorisme (Acavite) ont engagé des actions devant les juridictions espagnoles, en particulier l’Audience Nationale, pour crimes de génocide, meurtres, terrorisme, tortures, enlèvements, d’abus sexuels et de viol commis contre des réfugiés des camps de Tindouf mais aussi des ressortissants espagnols.
Du fait de ces poursuites, en 2016, le leader du Polisario avait renoncé à se rendre à la Conférence internationale de solidarité et de soutien au « peuple saharaoui » près de Barcelone ; à l’époque, le juge espagnol ne put l’entendre à la date à laquelle il avait été convoqué. Ces derniers jours, les représentants des associations de victimes ont manifesté en Andalousie et plusieurs associations dont l’ASADEH (Association sahraouie pour la défense des droits de l’homme) ont demandé à la justice espagnole de réactiver les procédures, de donner effet au mandat d’arrêt lancé contre Brahim Ghali en 2016 et d’ouvrir une instruction sur la présence inopinée du tortionnaire en Espagne. Le souvenir du viol abject de Khadijatou Mahmoud, des assassinats, des enlèvements collectifs, des disparitions en haute mer de marins pêcheurs canariens ressurgit dans la presse espagnole et marocaine et illustre les horreurs imputables au protégé de l’Algérie.
L’intéressé ne saurait quitter le territoire espagnol sans répondre des crimes dont il est accusé. Il ne saurait se prévaloir de l’immunité diplomatique accordée frauduleusement par l’Algérie sous une fausse identité.
Sous l’angle diplomatique, en cas de réclamation internationale, l’Espagne ne peut exciper d’une telle immunité ni de sa qualité de chef d’Etat de la prétendue RASD qu’elle n’a pas reconnue et qui ne possède pas l’effectivité d’un Etat. Sous l’angle judiciaire, il incombe à la justice espagnole de s’exercer : elle dispose de la compétence juridictionnelle à cet égard, en raison de la présence de l’auteur des actes et de certaines victimes sur le territoire espagnol, aussi bien qu’en raison du caractère international des crimes en cause. En d’autres temps, dans les circonstances plus que douteuses de l’affaire Pinochet elle n’a pas hésité à invoquer la compétence universelle pour agir. Il n’existe qu’une solution : punir ou extrader.
Il est manifeste que le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez n’a pas mesuré les conséquences de sa décision d’accueillir le chef criminel d’un mouvement séparatiste hostile à un Etat ami (le Maroc), allié dans la coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme et aussi important pour la coopération économique, commerciale, sociale et culturelle. Les gouvernements étrangers connaissent la capacité du Maroc en matière d’enquêtes et d’information et son efficacité dans les opérations anti-terroristes, reconnues par de nombreux Etats, y compris les Etats-Unis, la France et l’Allemagne. Cette dernière, approchée pour prendre en charge l’intéressé, n’avait d’ailleurs pas donné suite.
Tout récemment, le 28 avril 2021, le parlement européen a souligné le caractère stratégique des relations entre le Maroc et le l’Union européenne et recommandé davantage de soutien au Royaume. Face à ces considérations de sécurité et de stabilité régionale, les médiocres avantages électoraux, politiques ou commerciaux liés au gaz algérien ne devraient guère peser. Le Royaume du Maroc a déploré l’attitude de l’Espagne.
Le ministre marocain des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur d’Espagne pour lui exprimer sa déception, son incompréhension et pour lui demander des explications.
L’impéritie des autorités espagnoles serait contraire à l’esprit de coopération de bon voisinage et de partenariat entre les deux Etats et plus généralement entre le Maroc et l’Union européenne. Toute défaillance serait de nature à engager la responsabilité de l’Espagne dans l’ordre international envers le Maroc et dans l’ordre européen envers l’Union ainsi qu’au titre de la Convention européenne des droits de l’homme. A défaut d’habileté diplomatique, il ne reste plus au gouvernement espagnol qu’à faire preuve de courage.
- Jean-Yves de Cara
Professeur émérite à l’Université de Paris,
Avocat au barreau de Paris
Président du Conseil scientifique de l’Observatoire d’études géopolitiques