Libye: les divergences entre islamistes commencent à faire surface
Les divergences entre jihadistes et islamistes modérés commençaient à faire surface à Benghazi, berceau de la révolte libyenne, après les succès remportés sur le terrain par les premiers et une tentative des seconds de s’organiser, estiment des analystes.
Tout a commencé samedi avec l’annonce de personnalités islamistes, bon teint et considérées comme proches de la mouvance des Frères musulmans, de la constitution d’une Choura (Conseil consultatif) qui se propose de "trouver des solutions aux problèmes de la ville" de Benghazi (est).
La réplique est venue immédiatement de la "Choura des révolutionnaires de Benghazi", constituée entre autres des groupes jihadistes, qui a affirmé "ne pas reconnaître" la nouvelle entité.
"Ils ont profité du fait qu’on soit occupé sur les fronts de guerre pour se former (…) en ignorant les véritables Moujahidine", a souligné la "Choura des révolutionnaires de Benghazi", dans un communiqué.
Les jihadistes, dont Ansar Asharia, groupe classé comme "organisation terroriste" par Washington, estiment avoir été marginalisés par le Conseil national de transition (CNT) qui avait conduit le pays après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Ils voient dans le nouveau conseil de Benghazi une tentative des islamistes qui étaient bien représentés au CNT de revenir sur le devant de la scène.
"Les complots comparables à ceux des débuts de la révolution ne passeront pas", ont averti les jihadistes en s’adressent aux membres du nouveau Conseil de Benghazi.
Ces derniers ont annoncé, dans le communiqué représentant leur acte constitutif et dont l’AFP a obtenu une copie, vouloir "assister la municipalité de Benghazi" pour qu’elle puisse faire redémarrer la ville.
Ils ont appelé à "soutenir les forces de sécurité et la justice (…) à bannir les violences et l’extrémisme et à adopter la démocratie, le principe de l’Etat civil et celui de l’alternance pacifique à la tête des institutions".
Les membres du nouveau Conseil ont également proclamé leur foi en "la liberté d’expression, le droit de manifester pacifiquement à condition de ne pas interrompre les services publics et de ne pas porter atteinte à la sécurité de la ville et de ses habitants".
– Les jihadistes contre la démocratie –
"C’est le début de la dispute entre tenants de l’islam politique et jihadistes", estime l’analyste politique Saad Najm pour qui la ligne de fracture se situe autour du principe de la démocratie.
"Les jihadistes contrôlent actuellement 80% de la ville de Benghazi", après en avoir chassé les forces loyales au général dissident Khalifa Haftar qui a lancé le 16 mai une offensive les visant, assure Mohammad al-Assani, ancien officier et analyste militaire.
Ils ont constitué leur "Conseil des révolutionnaires de Benghazi" le 20 juin, soit plus d’un mois après le début de l’offensive du général Haftar qui n’a fait qu’affermir leur emprise sur la ville où ils ont pris le contrôle des principaux QG militaires et des forces de sécurité.
Depuis des semaines, Benghazi est vide de toute présence de l’armée et de la police alors que la justice a cessé de fonctionner. Des escarmouches quasi-quotidiennes opposent les jihadistes aux forces du général Haftar, repliées sur le sud de la ville.
"C’est la fin de la lune de miel entre les islamistes, tendance Frères musulmans et leurs frères, les jihadistes qui sont contre la démocratie et l’Etat civil", relève Ezzeddine al-Boroussi, un analyste politique.
"Les islamistes qui n’ont même pas remporté l’élection du Parlement du 25 juin vont payer le prix de leur soutien précédent aux jihadistes qui ne croient pas en la démocratie", a estimé de son côté, un autre analyste Nasser Assamine.
"Nous ne combattons pas pour la démocratie ou pour le retour du Parlement à Benghazi mais pour le triomphe de la parole de Dieu et pour défendre notre terre et notre honneur", ont souligné les jihadistes dans leur communiqué de samedi.
Pour des raisons de sécurité et alors que les autorités n’arrivent pas à rétablir l’ordre, le nouveau Parlement siège à Tobrouk (1.600 km à l’est de Tripoli) alors qu’il devait se réunir à Benghazi, selon la Constitution provisoire.