La sensibilité marocaine expliquée à M. Hollande
On passe tout à l’Algérie, mais pas grand-chose au Maroc ! Tahar Ben Jelloun s’indigne de ce traitement de « défaveur » réservé à son pays.
Par Tahar Ben Jelloun
Le Maroc est considéré comme "l’ami de la France". Que ce soit sous François Mitterrand ou sous Jacques Chirac, il a toujours été traité avec respect et considération. Non par complaisance, mais simplement parce que ce pays est un bon client et que le protectorat ne s’est pas achevé par une guerre terrible comme ce fut le cas de l’Algérie. Cette tragédie est loin d’être oubliée. La mémoire franco-marocaine est plutôt apaisée, tranquille et parfois passionnée.
Nos amis socialistes ont toujours eu un préjugé à l’égard de la monarchie marocaine. Ils ont toujours exprimé leur préférence pour une république. Ce n’est pas bien grave. Le principal n’est-il pas de respecter le choix du peuple ?
Le Maroc n’est pas le genre de pays qu’on traite par-dessus la jambe
Alors qu’est-ce qui coince ? Un manque de sensibilité, une sorte de désinvolture et par-dessus tout une méconnaissance de l’âme marocaine. Le rôle d’un diplomate n’est-il pas de sonder cette âme et d’aller au-delà des apparences afin de mieux informer sa hiérarchie ? Apparemment, l’incident de la convocation d’un responsable marocain en février dernier a échappé aussi bien au ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Valls, qu’à Mme Taubira, ministre de la Justice. La suite n’a rien arrangé. La tension dure, les bavures continuent et M. Hollande ne bronche pas. Je le comprends, il a tellement de tuiles en ce moment qu’il ne sait même plus ce qui s’est passé. Il l’a su, mais il l’a oublié. Le fait d’être si bas dans les sondages porte gravement atteinte à la vigilance et à l’amitié qu’on oublie de développer ou de restaurer quand elle a été mise à mal par des fonctionnaires sans envergure et sans vision politique.
Alors j’ai envie de m’adresser à François Hollande et de lui dire ceci :
Monsieur le Président, je sais, vous n’êtes pas gâté en ce moment par ce qui se passe. La défaite des municipales, la victoire insolente du Front national et le chômage qui ne vous obéit pas, car sa courbe n’a nullement l’intention de s’inverser. Ce n’est pas le moment de vous faire des reproches, mais peut-être faudrait-il vous pousser à changer d’attitude, à bouger et à prendre des initiatives qui vous sortiraient de cette impasse où tout le monde vous pousse, y compris vos amis.
Le Maroc n’est pas le genre de pays qu’on traite par-dessus la jambe. Les Marocains sont sensibles à la manière dont on se comporte avec eux. Laissez les fonctionnaires repenser les accords judiciaires. Prenez votre avion et rendez visite au roi, une visite de courtoisie et aussi de travail. Ne laissez pas la tension s’aggraver. Personne n’y a intérêt. Prenez deux jours de vacances, loin des tribulations des uns et des autres, loin des bruits et des mauvaises nouvelles.
Le Maroc est concerné par le devenir de cette Europe
Je sais, Monsieur le Président, vous êtes débordé et l’Europe n’attend pas. Certes, mais n’oubliez pas que le Maroc est lui aussi concerné par le devenir de cette Europe accaparée pour le moment par des extrémistes populistes et xénophobes. Le Maroc a besoin qu’on défende ses exportations et qu’on respecte son identité. Je vous parle de tomates et d’oranges. Je vous parle de pêches et de développement, d’investissements et de progrès. Tout cela vous l’aviez constaté lors de votre voyage d’État l’an dernier. Ayez de l’imagination et faites quelque chose qui nous étonnera tous, Français et Marocains, osez un geste fort et symbolique, penchez-vous sur l’histoire du Maroc, ayez une vision plus large, plus ambitieuse. Je suis sûr que cela vous portera bonheur.