De la Silicon Valley à Pékin en passant par Paris, les géants du numérique se livrent une concurrence acharnée pour mettre au point le Chatbot le plus performant, capable de séduire un public plus que jamais curieux, avec à chaque fois des mises à jour proposant de nouveaux services adaptés aux différentes catégories d’utilisateurs. La planète High-Tech est désormais le théâtre d’une course vers l’IA, qui brûle les étapes et fait sauter, dans sa lancée, les barrières géographiques, technologiques et éthiques.
Dans la science, la médecine, l’industrie, l’agriculture et bien d’autres domaines, chaque jour apporte son lot d’inventions et d’applications, plus surprenantes les unes que les autres. Le monde de l’art et de la culture n’échappe pas à cette « IA mania » qui s’empare de notre 21ème siècle.
Fin 2024, le portrait d’un mathématicien anglais peint par Ai-Da, un robot ayant l’apparence d’une femme, s’est vendu pour 1 million de dollars aux enchères chez Sotheby’s.
En juillet dernier, la Sorbonne Université a annoncé qu’elle développait un projet d’écriture, à l’aide de l’IA, d’une pièce de théâtre baptisée « L’Astrologue ou les Faux Présages » dans le pur style de Molière, en collaboration avec un collectif de chercheurs.
Le cinéma n’est pas en reste, puisque les films 100% créés par l’IA commencent à faire leur apparition.
A l’heure où « l’IA artistique » fait sensation de par le monde, un flou artistique règne sur la scène culturelle marocaine. Si des projets et des applications émergent ici et là, ils « relèvent essentiellement de l’initiative privée et locale et restent souvent au stade de l’expérimentation », souligne Mehdi Sefrioui, photographe et spécialiste d’arts visuels, dans une déclaration à la MAP.
Selon M. Sefrioui, commissaire de la première exposition artistique dédiée à l’IA (Artificial Intelligence Arts Exhibition), organisée fin 2023 à Casablanca, « l’absence d’un cadre juridique spécifique à l’IA en général et l’IA appliquée aux arts en particulier empêche le développement de la machine ».
Ce constat est corroboré par Salah Baina, enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure d’ingénieurs en informatique et analyse des systèmes (ENSIAS) de Rabat.
« À ce jour, le Maroc ne dispose pas encore de loi spécifique sur l’IA, ce qui crée un vide juridique », relève cet expert de robotique dans un entretien accordé à la MAP, jugeant nécessaire d’actualiser les textes sur la protection des données et la propriété intellectuelle, entre autres, et d’établir des normes propres à l’IA.
A ce vide juridique qui empêche l’IA artistique de prendre son envol, s’ajoute un blocage mental et psychologique. Si la jeune génération d’artistes et de créateurs s’est déjà mise à explorer le potentiel de ces joujoux technologiques capables de faire des miracles, les « seniors » dans leur majorité restent sur la touche, indifférents, sceptiques ou ouvertement hostiles.
A l’origine de cette méfiance vis-à-vis de l’IA appliquée aux arts, la crainte que l’IA tue l’art et que le robot remplace un jour l’artiste.
« En général, le changement est perçu comme une rupture, un danger », note Mehdi Sefrioui, rappelant la polémique ayant accompagné l’apparition, au 19ème siècle, de la photographie considérée à l’époque comme une menace aux beaux-arts. « A l’aube du 19ème siècle, la révolution industrielle était venue bousculer les mentalités. La révolution numérique du 21ème siècle, dont l’IA est le porte-étendard, est en train de faire de même », estime-t-il.
Utilisée à bon escient, l’IA sera le meilleur allié de l’artiste en lui facilitant les tâches qui requièrent précision et haute technicité, soutient le jeune photographe et artiste visuel qui dit pouvoir désormais exécuter en deux clics les tâches qui lui prenaient deux heures auparavant.
Énormes bases de données et fonds de recherche à portée de main, grande variété de modèles et de combinaisons à bout de clic… L’IA est un précieux assistant qui facilite le processus créatif et ouvre un champ infini de possibilités techniques et esthétiques.
Il faut se rendre à l’évidence: ce puissant outil sera, tôt ou tard, une composante essentielle de l’écosystème des industries culturelles et créatives. Au lieu de nager contre le courant, il vaut mieux œuvrer à « préserver la dimension humaine de la création », insiste Salah Baina, appelant à « sensibiliser les artistes sur l’utilisation de cette technologie et trouver un terrain d’entente où l’IA devient un outil au service de la créativité, et non une menace”.
Ce terrain d’entente se situe certainement à la frontière entre l’intelligence artificielle et celle humaine. Entre les adeptes de l’une et les défenseurs de l’autre, une troisième voie existe: la collaboration entre les deux. Cette collaboration, pour être productive et surtout morale et utile à l’Humanité, a besoin d’être rationalisée à travers un effort de réglementation et de sensibilisation car, comme dit l’adage : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
