Stress hydrique. Le mot est sur toutes les lèvres. Du Lake Mead, au Nevada, où une demi-douzaine de cadavres ont été repêchés après l’assèchement spectaculaire du plus grand réservoir d’eau des États-Unis, à la France, où les autorités imposent régulièrement des restrictions inédites à l’usage de l’eau potable, le stress hydrique fait cette année encore des ravages de par le monde.
Le Maroc, pays particulièrement sensible à l’impact des changements climatiques, n’est pas épargné. Jadis érigés en fierté nationale, les centaines de barrages que compte le Royaume, et qui lui ont permis de surmonter des vagues successives de sécheresse aiguës grâce à la vision éclairée de feu SM Hassan II puis de SM le Roi Mohammed VI, affichent désormais des taux de remplissage alarmants.
Selon la situation journalière des principaux grands barrages du Royaume, établie par le ministère de l’Equipement et de l’Eau, au 23 septembre 2022, l’ensemble des barrages affichaient un taux de remplissage de 24,8% seulement, contre 38,8% il y a exactement un an de cela.
Du côté des ressources souterraines, le constat est tout aussi funeste. Selon des informations fournies par le ministère de l’Equipement et de l’Eau, la majorité des nappes d’eau souterraines connaissent des problèmes de surexploitation. Les bilans établis pour les principales nappes montrent que le volume d’eau souterraine prélevée en année moyenne (5 milliards de m³) dépasse les ressources exploitables, soit une surexploitation de l’ordre de 1,1 milliard de m³ par an.
« Comparativement au reste du monde, l’eau au Maroc est un bien plutôt rare et marqué par une grande variabilité dans le temps et l’espace. Les ressources en eau naturelles renouvelables dont dispose le pays avoisinent actuellement les 650 m³ par habitant par an et sont de ce fait en deçà du seuil de 1000 m³ par habitant par an, communément admis comme seuil critique de pénurie d’eau », a confié à la MAP l’expert senior en eau et développement durable, Mohamed Alaoui.
Pour M. Alaoui, les sécheresses chroniques dont souffre le Royaume depuis des décennies ne sont pas les seules à blâmer pour la crise hydrique actuelle.
« A mon humble avis, la sécheresse que subit actuellement le Maroc est loin d’être un phénomène conjoncturel, mais plutôt structurel qui mérite d’être pris à bras le corps par les pouvoirs publics et toutes les composantes de la société marocaine », a-t-il soutenu.
Selon le chercheur, « les grandes réalisations de la politique de l’eau au Maroc ne doivent pas cacher les insuffisances dont elle souffre et les séquelles qu’elle a laissées », expliquant que le développement de l’irrigation à grande échelle n’a pas été sans conséquences néfastes sur les nappes qui sont « surexploitées de plus de 1 milliard m³/an et qui subissent en plus une dégradation de leur qualité par les pesticides et les nitrates issues de la percolation des eaux d’irrigation.
« Ce sur-pompage est une réelle menace pour la durabilité de l’exploitation de plusieurs nappes, soit par déstockage cumulatif de leurs eaux non renouvelables, comme c’est le cas des nappes du Souss et du Saïss, ou par l’intrusion des eaux marines dans les nappes côtières constatée depuis plusieurs années au niveau de la nappe de M’Nasra dans le Gharb par exemple », a-t-il fait savoir.
« Ce pompage excessif a entraîné également une réduction alarmante de l’étendue de certains lacs, voire leur quasi-disparition, comme c’est le cas dans la région d’Ifrane, (Dayet Aoua, Hachlaf et Ifrah) », a fait observer M. Alaoui.
Mais si l’on ne peut souligner assez le caractère critique de la pénurie d’eau au Maroc, la situation est loin d’être sans espoir. La gestion des ressources hydriques figure indubitablement en tête des priorités des autorités publiques.
En effet, pour pallier cette situation, le ministère de tutelle déploie les grands moyens. Le département de l’Eau s’appuie notamment sur la mise en œuvre simultanée de plusieurs solutions conventionnelles et non-conventionnelles: la construction de grandes usines de dessalement d’eau de mer, le traitement des eaux usées et le transfert des eaux des bassins excédentaires vers les réservoirs déficitaires.
Contacté par la MAP, le ministère de l’Equipement et de l’Eau a expliqué que pour lutter contre les déficits en eau en milieux urbain et rural, le gouvernement actuel a décidé des mesures urgentes et structurelles qui concernent essentiellement la signature de conventions entre les parties prenantes pour les bassins déficitaires de la Moulouya, du Tensift et de l’Oum Er Rbia (2.042 millions de dirhams-MDH), la région de Draa Tafilalet (293 MDH)… Le coût total de ces conventions est de 8.218 MDH.
En outre, le gouvernement prévoit « plusieurs projets de dessalement de l’eau de mer pour satisfaire la demande en eau côtière, ce qui permettra de préserver les eaux de surface pour les zones continentales intérieures conformément aux recommandations du Nouveau modèle de développement ». Ces projets concernent la ville de Dakhla, la région de l’Oriental, la ville de Tiznit, la deuxième tranche du projet de Chtouka pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable du grand Agadir, ainsi que la ville d’Essaouira, précise la même source.
Ces nouveaux projets viennent s’ajouter aux infrastructures existantes, puisque le Maroc a procédé à la mobilisation des eaux non conventionnelles à travers la réalisation de 9 usines de dessalement de l’eau de mer et 159 stations de traitement des eaux usées.
A court terme, le ministère de tutelle a déployé de nombreuses mesures, notamment la généralisation des compteurs d’eau dans le secteur agricole, le renforcement du contrôle des prélèvements illicites des eaux destinées à l’eau potable des canaux de Rocade, de Doukkala et de la Tessaout, l’achat de 706 camions citernes pour l’approvisionnement en eau de plus de 2,7 millions d’habitants en milieu rural au niveau de 75 provinces et préfectures, l’acquisition de 26 stations mobiles de dessalement de l’eau de mer et 15 stations de déminéralisations des eaux saumâtres pour assurer l’alimentation en eau potable dans 26 provinces, outre la réalisation de 129 petits barrages et lacs collinaires programmées entre 2022 et 2024.
De son côté, M. Alaoui affiche son optimisme. « Le Maroc est une nation millénaire qui a toujours su surpasser les moments les plus critiques de son histoire. Le Royaume dispose d’importants atouts pour relever les défis liés à l’eau par le concours de toutes les forces vives du pays », a-t-il estimé, notant que « le cadre institutionnel et réglementaire qui régit le secteur de l’eau au Maroc, les politiques sectorielles lancées ces dernières années par l’Etat, notamment la stratégie nationale de l’eau, le Plan Maroc Vert, consolidé par la ‘Génération Green’, la stratégie énergétique et autres, devraient permettre au pays de relever les défis qui s’imposent au secteur de l’eau pourvu que leur mise en œuvre soit intégrée, concertée et participative ».
Par ailleurs, a poursuivi l’expert international, le Plan National de l’Eau (PNE), tant attendu, devrait doter le pays d’une vision « intégrée et intersectorielle » pour le secteur de l’eau, en se penchant particulièrement sur les questions d’ordre stratégiques telles que les priorités de l’Etat en matière de développement des ressources en eau, le grand transfert de l’eau du nord au centre du pays et l’adaptation du secteur à l’effort de régionalisation.
« L’eau au Maroc est la ressource naturelle par excellence qui conditionne la prospérité et la stabilité sociale et qui peut accélérer ou décélérer l’atteinte des objectifs fixés par les politiques publiques », a-t-il conclu.