En Algérie, les détenus « oubliés » du Hirak
Ils sont les « oubliés » du mouvement populaire (« Hirak ») antirégime en Algérie. Des dizaines de détenus qui attendent leur procès, certains depuis plus d’un an, dans un silence assourdissant et un isolement accentué par la crise sanitaire due au nouveau coronavirus.
Ils ne jouissent pas du statut d’opposant politique, vivent souvent loin d’Alger, la capitale du Hirak, et sont parfois assimilés à des voyous. Face à l’indifférence quasi générale, leurs familles ne savent plus vers qui se tourner.
C’est ainsi que des groupes de mères de détenus se sont créés, après des rencontres dans les prétoires algérois, pour partager leurs déboires. Aujourd’hui, ces compagnes d’infortune se soutiennent mutuellement pour sauver leurs enfants.
Zakia Hanane est la mère de Zinedine, 32 ans, arrêté le 1er mars 2019 à Alger au retour d’une manifestation du Hirak après que deux voisins du quartier sont montés dans la même voiture que lui. L’un deux, réparateur TV, a reconnu avoir ramassé un écran plasma dans la rue pour récupérer les pièces. Mais la justice les a tous mis dans le même sac et les a accusés de vandalisme.
« Le +Hirak+ et la justice les ont oubliés, et avec le coronavirus ils paient lourdement cet oubli. C’est la double peine avant le jugement », se désole Zakia, qui en a perdu le sommeil.
La vie de ces familles, souvent issues de milieux modestes, s’est arrêtée le jour de leur arrestation. Il a fallu prendre des avocats et les rémunérer.
Leur désespoir s’est accru avec la pandémie du Covid-19 et l’annulation des visites au parloir, même si, selon les autorités, aucune contamination n’est à déplorer dans les geôles.
« Criminaliser le Hirak »
Kaddour Chouicha, militant des droits humains à Oran (nord-ouest), estime que « la détention préventive reste une arme puissante dans les mains de ceux qui criminalisent l’activité politique, syndicale, associative, et maintenant les membres du +Hirak+ ».
Certains détenus attendent leur procès depuis plus d’un an. Ils ont vu arriver, puis partir, d’autres prisonniers du Hirak, libérés ou condamnés à une peine déjà purgée.
Les autorités algériennes ne communiquent pas sur le sujet.
Quant aux ONG de la société civile, elles sont partagées sur le statut de ces prisonniers — d’opinion ou non ?–, mais s’accordent sur le fait qu’ils ne doivent pas croupir en préventive.
La plupart des avocats les ont traités comme des détenus de droit commun, alors que, selon lui, ils sont incarcérés pour des faits liés au Hirak, dit Hakim Addad, ex-prisonnier, militant du Rassemblement Action Jeunesse(RAJ), mouvement à la pointe de la contestation.
D’autres conseils ont refusé de les défendre, excipant du « secret professionnel » pour ne pas révéler les circonstances ou les motifs de leur interpellation, observe Me Lydia Lounaouci, avocate à Bejaïa (nord-est).
Certains embastillés ont été impliqués –à tort ou à raison– dans des altercations, des vols ou des saccages en marge de marches du Hirak.
C’est le cas de Yazid Hadou, un « hirakiste » de Tlemcen (nord-ouest), arrêté en octobre 2019, accusé par la police de s’être battu avec un agent municipal avant l’élection présidentielle.
Son frère Hami demande qu’on le juge ou qu’on le libère. « Il avait un travail qu’il a perdu. Il est marié et a un enfant en bas âge ».
Hami raconte que leur mère est décédée sans pouvoir le voir. « Elle était malade et a mal supporté son incarcération. Aujourd’hui, je n’ose pas lui annoncer qu’elle est morte ».
« Inadmissible »
Le recours à la détention préventive était déjà devenu la règle et non l’exception avant le Hirak, qui a rendu le phénomène plus visible, selon les avocats et les militants des droits humains.
Ces derniers estiment à plus d’un millier le nombre de détenus –« hirakistes » ou non– en prison dans l’attente d’un hypothétique procès, malgré de récentes grâces présidentielles.
Kaddour Chouicha a rencontré à la prison d’Oran un homme accusé dans une affaire de drogue qui attend son procès depuis six ans.
La préventive, dit-il, frappe plus durement « ceux qui, isolés, démunis, sont placés dans un face-à-face inégal avec le visage réel de la répression ».
« Ils ne connaissent pas les mécanismes, ni les personnes à contacter. Ils n’ont pas d’argent. Leurs familles ne savent pas à quelle porte frapper », déplore M. Chouicha, lui-même ex-détenu du « Hirak ».
Hakim Addad, du RAJ, témoigne: « Un jeune de 23 ans était en isolement avec moi. Il n’a ni père ni mère, juste un frère et est en détention provisoire depuis 18 mois pour une bagarre. Il n’a pas les moyens de se payer un avocat ».
M. Addad estime que 20 % à 30 % des détenus de la prison d’El Harrach à Alger sont en préventive. « C’est inadmissible. Certains passent des mois en prison avant d’être acquittés ».