Au Conseil d’Etat, des médecins réclament un confinement « total » en France
Le gouvernement en fait-il assez face à l’épidémie ? Non, répondent certains médecins qui ont ferraillé dimanche devant le Conseil d’Etat lors d’une audience extraordinaire, dans l’espoir d’obtenir un « confinement total » de la population ou, à défaut, le durcissement des règles.
Compte-tenu des enjeux, la plus haute juridiction administrative a tenu dimanche une audience extraordinaire pour examiner le référé-liberté déposé vendredi par le syndicat Jeunes Médecins, auquel se sont associés l’ordre des médecins et un syndicat d’internes.
Marchés en plein air trop fréquentés, nombreux joggeurs dans les villes, maintien des transports en commun ou des activités du bâtiment, stratégie de dépistage…: tous ces points de tensions depuis le début du confinement ont été débattus pendant 2h30 par ces jeunes médecins et leurs avocats face à deux représentants du gouvernement.
Pour respecter les préconisations sanitaires, les participants se tenaient à bonne distance dans la grande salle des contentieux du Palais Royal ou bien intervenaient, très exceptionnellement, par visioconférence, en présence d’un nombre limité de journalistes.
Les trois juges, contre un seul habituellement pour cette procédure d’urgence, ont annoncé qu’ils rendraient leur décision dimanche en fin de journée.
Ces hauts magistrats, dont la décision sera, quelle qu’elle soit, inédite, doivent en effet dire si les dérogations de déplacement, prévues par le décret gouvernemental du 16 mars, portent une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », en l’occurrence le « droit à la vie ».
Si toutes les parties se sont accordées sur l’état d’urgence, elles se sont nettement opposées sur la position du curseur en matière de restriction des libertés.
– Nombre de joggeurs –
« La première mesure à prendre, c’est de supprimer la dérogation pour les déplacements à proximité du domicile pour une activité physique », a d’abord proposé Me Vianney Petetin, avocat de Jeunes Médecins. « C’est une mesure très mal comprise par les Français et qui n’est pas respectée », a-t-il expliqué au Conseil, dont le président lui-même a partagé son étonnement devant le nombre de joggeurs croisés dans Paris en se rendant à l’audience.
Parmi les autres mesures, « rapides à prendre sans qu’il soit nécessaire d’un grand débat juridique ou économique », l’avocat a recommandé l’instauration d’un couvre-feu national, à l’image de certaines initiatives locales de maires et de préfets, la fermeture des marchés en plein air et « une réduction drastique des transports en commun ».
Mais plus encore, le syndicat réclame un « confinement total », bien qu’une telle décision puisse dépasser les prérogatives des juges des référés.
Certes, « il est plus facile de mettre en place ce type de système dans un régime totalitaire » comme en Chine, a concédé l’avocat. Mais « avec un effort de tous, on peut tout de même y arriver », a-t-il encouragé, appelant à « faire preuve d’imagination » pour organiser un ravitaillement de la population via les « drives » des supermarchés ou des livraisons assurées par l’Etat.
– « Santé mentale » –
« Nous sommes dans un état démocratique: on ne mettra jamais en oeuvre en France des mesures répressives que les autorités chinoises ont utilisées », lui a répondu Charles Touboul, directeur des affaires juridiques des ministères sociaux (Santé, Travail…).
« Il est trop tôt pour pouvoir affirmer que les mesures du gouvernement sont insuffisantes » et justifieraient « un niveau supplémentaire de limitation des libertés », a-t-il soutenu, invoquant aussi les risques d’un confinement trop strict, notamment « sur la santé mentale » des Français. Quant au périmètre des « activités essentielles », « personne ne sait les définir », a-t-il souligné.
A défaut de masques en nombre suffisant et d’être capables de tester massivement la population pour limiter le confinement aux personnes contaminées, « ce sont la distance physique et le lavage des mains qui sont la clé », a défendu le professeur William Dab, ancien directeur général de la Santé.
« Cette question du bénéfice-risque est un faux débat (…) combien de vies pour un point de PIB ? », lui a rétorqué Me Loïc Poupot, avocat de l’ordre des médecins. « Si vous dites que la distanciation physique suffit, vous encouragez les gens à sortir car ils se disent qu’il suffit de s’écarter », a-t-il mis en garde, avant de conclure: « chaque jour perdu, ce sont des vies perdues ».