Migrants: Erdogan réclame un soutien européen en Syrie, l’UE dénonce son chantage aux migrants
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé mercredi qu’une résolution de la crise migratoire passait par un soutien européen à Ankara en Syrie, mais l’UE a rejeté « fermement » le chantage aux migrants de la Turquie.
Cette escalade verbale intervient après une journée de nouveaux heurts entre réfugiés et policiers à la frontière grecque.
« Si les pays européens veulent régler le problème, alors ils doivent apporter leur soutien aux solutions politiques et humanitaires turques en Syrie », a déclaré mercredi M. Erdogan lors d’un discours à Ankara.
Les ministres de l’Intérieur de l’UE, réunis en urgence à Bruxelles, lui ont répliqué mercredi soir: renouvelant son soutien à la Grèce, l’Union « rejette fermement l’usage par la Turquie de la pression migratoire à des fins politiques », qui a créé une situation « pas acceptable » aux « frontières extérieures de l’UE », selon un communiqué commun.
Des dizaines de milliers de personnes ont afflué vers la Grèce depuis que M. Erdogan a ordonné vendredi l’ouverture des frontières de son pays, réveillant en Europe la peur d’une crise migratoire similaire à celle de 2015.
Face à ce nouvel afflux, plusieurs dirigeants européens avaient déjà dénoncé un « chantage » d’Ankara qui, aux termes d’un accord conclu avec Bruxelles en 2016, s’était engagé à lutter contre les passages illégaux, en échange notamment d’une aide financière.
Les ministres de l’Intérieur ont d’ailleurs appelé la Turquie « à mettre totalement en oeuvre les dispositions » de cet accord.
« Nous n’avons jamais considéré les réfugiés comme un moyen de chantage politique », a soutenu le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin.
A l’issue d’une visite à Ankara dans la journée, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell avait annoncé le déblocage d’une aide d’urgence de 170 millions d’euros « pour les plus vulnérables en Syrie ».
« Situation exceptionnelle »
Sur le terrain, de nouvelles échauffourées ont éclaté au poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec). Des migrants ont lancé des pierres en direction des forces de sécurité grecques, qui ont riposté au gaz lacrymogène.
Le gouvernorat d’Edirne (nord-ouest de la Turquie) a affirmé dans un communiqué que six migrants qui tentaient de traverser à Pazarkule avaient été blessés par des tirs grecs. L’un d’eux a succombé à ses blessures à la poitrine, selon cette source.
Un photographe de l’AFP a vu un migrant blessé à la jambe par des tirs en provenance du côté grec. Un autre reporter de l’AFP a vu deux migrants dans un hôpital turc non loin, dont l’un présentait une plaie au tibia saignant abondamment.
Athènes, qui accuse Ankara de propager de « fausses informations », a « catégoriquement démenti » et affirmé que des policiers turcs avaient tiré des grenades lacrymogènes contre les policiers grecs à Pazarkule.
La commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson a rappelé mercredi que la « protection des frontières » de l’UE devait se faire « dans le plein respect des droits fondamentaux ».
Depuis l’ouverture des frontières par Ankara, quelque 1.720 migrants ont rejoint les îles de la mer Égée, selon Athènes, s’ajoutant aux 38.000 exilés s’y trouvant déjà.
Dans son discours mercredi, M. Erdogan a accusé les Européens de « piétiner » les droits humains en « battant, coulant les embarcations et même en tirant » sur les migrants qui cherchent à se rendre en Europe.
La décision prise par Ankara d’ouvrir ses frontières intervient au moment où la Turquie cherche à obtenir un appui occidental en Syrie, où elle mène une offensive et où elle est confrontée à un afflux de déplacés.
L’offensive que mène depuis décembre le régime syrien à Idleb, dernier bastion rebelle et jihadiste dans le nord-ouest de la Syrie, a en effet provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de personnes déplacées vers la frontière turque.
Trêve en Syrie ?
Ankara, qui accueille déjà 3,6 millions de Syriens sur son sol, réclame depuis plusieurs mois la création d’une « zone de sécurité » dans le nord de la Syrie pour y installer les personnes déplacées.
Après plusieurs semaines d’escalade des tensions dans cette région, Ankara a déclenché la semaine dernière une offensive contre le régime.
Le ministère turc de la Défense a annoncé mercredi la mort de deux nouveaux soldats dans des tirs du régime, portant à près de 40 les pertes turques depuis la semaine dernière à Idleb.
La Turquie, qui a abattu mardi un avion du régime, le troisième depuis dimanche, a multiplié ces derniers jours les frappes de drones. Neuf combattants pro-régime ont été tués mercredi dans une attaque de drone, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG.
Ces affrontements se produisent à la veille d’une rencontre cruciale à Moscou entre M. Erdogan et le président russe Vladimir Poutine, dont le pays appuie militairement le régime du président syrien Bachar al-Assad.
Le président turc a indiqué mercredi qu’il espérait arracher « un cessez-le-feu le plus rapidement possible » lors de ce sommet.
La chancelière allemande Angela Merkel, par la voix d’une porte-parole, a demandé aux deux dirigeants d’établir une zone de sécurité dans la région pour assurer l’approvisionnement des populations déplacées.